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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/28

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LE CID.

preuve dans des circonstances difficiles d’une singulière énergie[1] ; le succès du Cid lui valut une récompense qu’il avait certes bien méritée, mais qu’il n’eût peut-être jamais obtenue : en janvier 1687, il reçut des lettres de noblesse, qui, tout en ne mentionnant que ses services personnels, étaient plus particulièrement destinées à son fils. Les contemporains ne s’y trompèrent pas : l’auteur d’une des pièces publiées en faveur du Cid s’exprime ainsi : « On me connoîtra assez si je dis que je suis celui qui ne taille point sa plume qu’avec le tranchant de son épée, qui hait ceux qui n’aiment pas Chimène, et honore infiniment celle qui l’a autorisée par son jugement, procurant à son auteur la noblesse qu’il n’avoit pas de naissance[2]. »

Le témoignage de Mairet n’est pas moins explicite : « Vous nous avez autrefois apporté la Mélite, la Veuve, la Suivante, la Galerie du Palais, et, de fraîche mémoire, le Cid, qui d’abord vous a valu l’argent et la noblesse[3]. »

Ce qui avait si fort séduit la Reine irrita vivement Richelieu. « Quand le Cid parut, dit Fontenelle dans sa Vie de M. Corneille[4], le Cardinal en fut aussi alarmé que s’il avoit vu les Espagnols devant Paris. » Il se trouvait également froissé à tous égards, et la vanité du poëte avait autant à souffrir que les susceptibilités de l’homme politique. « Il eut, dit Tallemant des Réaux, une jalousie enragée contre le Cid, à cause que les pièces des cinq auteurs n’avoient pas trop bien réussi[5]. » Et Pellisson fait entendre la même chose, quoique avec beaucoup de circonspection et de réticences : « Il ne faut pas demander si la gloire de cet auteur donna de la jalousie à ses concurrents ; plusieurs ont voulu croire que le Cardinal lui-même n’en avoit pas été exempt, et qu’encore qu’il estimât fort M. Corneille et qu’il lui donnât pension, il vit avec déplaisir le reste des travaux de cette nature, et surtout ceux où il avoit quelque part, entièrement effacés par celui-là[6]. »

  1. Voyez notre Notice biographique sur Corneille.
  2. Le Souhait du Cid, p. 35.
  3. Épître familière du Sr Mairet, p. 18.
  4. Œuvres de Fontenelle, tome III, p. 100.
  5. Historiettes, tome II, p. 52.
  6. Relation contenant l’histoire de l’Académie françoise, p. 187.