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Scène III.

LE VIEIL HORACE, CAMILLE.
LE VIEIL HORACE.

Ma fille, il n’est plus temps de répandre des pleurs ;
Il sied mal d’en verser où l’on voit tant d’honneurs ;
On pleure injustement des pertes domestiques,
Quand on en voit sortir des victoires publiques.
Rome triomphe d’Albe, et c’est assez pour nous ;
Tous nos maux à ce prix doivent nous être doux[1].
En la mort d’un amant vous ne perdez qu’un homme
Dont la perte est aisée à réparer dans Rome[2] ;
Après cette victoire, il n’est point de Romain
Qui ne soit glorieux de vous donner la main.
Il me faut à Sabine en porter la nouvelle[3] ;
Ce coup sera sans doute assez rude pour elle,
Et ses trois frères morts par la main d’un époux
Lui donneront des pleurs bien plus justes qu’à vous ;
Mais j’espère aisément en dissiper l’orage,
Et qu’un peu de prudence aidant son grand courage
Fera bientôt régner sur un si noble cœur
Le généreux amour qu’elle doit au vainqueur.
Cependant étouffez cette lâche tristesse ;
Recevez-le, s’il vient, avec moins de foiblesse ;
Faites-vous voir sa sœur, et qu’en un même flanc
Le ciel vous a tous deux formés d’un même sang.

  1. Var. Tous nos maux à ce prix nous doivent être doux. (1641-56)
  2. Voyez ci-dessus, p. 162, vers 1058 et note 4.
  3. Var. Je m’en vais à Sabine en porter la nouvelle. (1641-56)