Aller au contenu

Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/348

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pour le malheur de Rome et la mort de deux frères[1],
Et me flattois-je trop quand je croyois pouvoir[2]
L’aimer encor sans crime et nourrir quelque espoir ?
Sa mort m’en punit bien, et la façon cruelle
Dont mon âme éperdue en reçoit la nouvelle :
Son rival me l’apprend, et faisant à mes yeux
D’un si triste succès le récit odieux,
Il porte sur le front une allégresse ouverte,
Que le bonheur public fait bien moins que ma perte ;
Et bâtissant en l’air sur le malheur d’autrui,
Aussi bien que mon frère il triomphe de lui.
Mais ce n’est rien encore au prix de ce qui reste[3] :
On demande ma joie en un jour si funeste[4] ;
Il me faut applaudir aux exploits du vainqueur,
Et baiser une main qui me perce le cœur.
En un sujet de pleurs si grand, si légitime,
Se plaindre est une honte, et soupirer un crime ;
Leur brutale vertu veut qu’on s’estime heureux,
Et si l’on n’est barbare, on n’est point généreux.
EtDégénérons, mon cœur, d’un si vertueux père ;
Soyons indigne sœur d’un si généreux frère :
C’est gloire de passer pour un cœur abattu[5],
Quand la brutalité fait la haute vertu.
Éclatez, mes douleurs : à quoi bon vous contraindre ?
Quand on a tout perdu, que sauroit-on plus craindre ?
Pour ce cruel vainqueur n’ayez point de respect ;
Loin d’éviter ses yeux, croissez à son aspect ;
Offensez sa victoire, irritez sa colère,

  1. Var. Pour le malheur de Rome et La mort des deux frères ? (1641 in-12)
  2. Var. Me flattois-je point trop quand je croyois pouvoir. (1641-56)
    ---Var. Ne me flattois-je point quand je croyois pouvoir. (1660)
  3. Var. Mais ce n’est encor rien au prix de ce qui reste. (1641-48 et 55 A.)
  4. Var. On demande ma joie en un coup si funeste. (1641-56)
  5. Var. C’est gloire de passer pour des cœurs abattus,
    ----Var.Quand la brutalité fait les hautes vertus. (1641-56)