Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/407

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Justice à tout le monde, à la face des dieux :
Là presque pour sa suite il n’a que notre troupe ;
C’est de ma main qu’il prend et l’encens et la coupe[1] ;
Et je veux pour signal que cette même main 235
Lui donne, au lieu d’encens, d’un poignard dans le sein.
Ainsi d’un coup mortel la victime frappée
Fera voir si je suis du sang du grand Pompée ;
Faites voir, après moi, si vous vous souvenez
Des illustres aïeux[2] de qui vous êtes nés. »240
À peine ai-je achevé, que chacun renouvelle,
Par un noble serment, le vœu d’être fidèle :
L’occasion leur plaît ; mais chacun veut pour soi
L’honneur du premier coup que j’ai choisi pour moi.
La raison règle enfin l’ardeur qui les emporte : 245
Maxime et la moitié s’assurent de la porte ;
L’autre moitié me suit, et doit l’environner,
Prête au moindre signal que je voudrai donner.
Voilà, belle Émilie, à quel point nous en sommes.
Demain j’attends la haine ou la faveur des hommes, 250
Le nom de parricide, ou de libérateur,
César celui de prince, ou d’un usurpateur[3].
Du succès qu’on obtient contre la tyrannie
Dépend ou notre gloire, ou notre ignominie ;
Et le peuple, inégal à l’endroit des tyrans, 255
S’il les déteste morts, les adore vivants.
Pour moi, soit que le ciel me soit dur ou propice,
Qu’il m’élève à la gloire, ou me livre au supplice,

  1. C’est une allusion à une circonstance historique, à la dignité sacerdotale qu’Auguste avait conférée à Cinna : voyez ci-dessus, p. 374. Sénèque nous apprend aussi (voyez p. 373) que les conjurés voulaient attaquer Auguste pendant qu’il célèbrerait un sacrifice : Sacrificantem placuerat adriri.
  2. On lit ayeuls dans l’édition de 1656.
  3. Var. César celui de (a) prince ou bien d’usurpateur. (1643-56)

    (a) L’édition de 1656 porte, par erreur, du prince, pour de prince.