Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/419

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Quand nous avons pu vivre et croître notre gloire[1].

CINNA.

Si l’amour du pays doit ici prévaloir,
C’est son bien seulement que vous devez vouloir ;500
Et cette liberté, qui lui semble si chère,
N’est pour Rome, Seigneur, qu’un bien imaginaire,
Plus nuisible qu’utile, et qui n’approche pas
De celui qu’un bon prince apporte à ses États.
Avec ordre et raison les honneurs il dispense, 505
Avec discernement punit et récompense[2],
Et dispose de tout en juste possesseur,
Sans rien précipiter, de peur d’un successeur.
Mais quand le peuple est maître, on n’agit qu’en tumulte :
La voix de la raison jamais ne se consulte ;510
Les honneurs sont vendus aux plus ambitieux,
L’autorité livrée aux plus séditieux[3].
Ces petits souverains qu’il fait pour une année,
Voyant d’un temps si court leur puissance bornée,
Des plus heureux desseins font avorter le fruit,515
De peur de le laisser à celui qui les suit.
Comme ils ont peu de part au bien dont ils ordonnent,
Dans le champ du public largement ils moissonnent[4],
Assurés que chacun leur pardonne aisément,
Espérant à son tour un pareil traitement :520
Le pire des États, c’est l’État populaire[5].

  1. Var. Quand nous avons pu vivre avecque plus de gloire. (1643-56)
  2. Var. Avecque jugement punit et récompense,
    Ne précipite rien de peur d’un successeur,
    [Et dispose de tout en juste possesseur.] (1643-56)
  3. Var. Les magistrats donnés aux plus séditieux. (1643-56)
  4. Var. Dedans le champ d’autrui largement ils moissonnent. (1643-56)
  5. Var. Le pire des États est l’État populaire (a). (1643)

    (a) Bossuet, dans son cinquième Avertissement aux protestants, a dit presque dans les mêmes termes : « L’État populaire, le pire de tous ; » et Cyrano de Bergerac, dans sa Lettre contre les frondeurs : « Le gouvernement populaire