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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/437

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Mais je n’ose parler, et je ne puis me taire[1].

ÉMILIE.

C’est trop me gêner, parle.

CINNA.

C’est trop me gêner, parle. Il faut vous obéir.
Je vais donc vous déplaire, et vous m’allez haïr.
Je vous aime, Émilie, et le ciel me foudroie925
Si cette passion ne fait toute ma joie,
Et si je ne vous aime avec toute l’ardeur
Que peut un digne objet attendre d’un grand cœur[2] !
Mais voyez à quel prix vous me donnez votre âme :
En me rendant heureux vous me rendez infâme ; 930
Cette bonté d’Auguste…

ÉMILIE.

Cette bonté d’Auguste… Il suffit, je t’entends,
Je vois ton repentir et tes vœux inconstants :
Les faveurs du tyran emportent tes promesses ;
Tes feux et tes serments cèdent à ses caresses ;
Et ton esprit crédule ose s’imaginer935
Qu’Auguste, pouvant tout, peut aussi me donner.
Tu me veux de sa main plutôt que de la mienne ;
Mais ne crois pas qu’ainsi jamais je t’appartienne :
Il peut faire trembler la terre sous ses pas,
Mettre un roi hors du trône, et donner ses États[3]940,
De ses proscriptions rougir la terre et l’onde,
Et changer à son gré l’ordre de tout le monde ;
Mais le cœur d’Émilie est hors de son pouvoir[4].

  1. Var. Mais je n’ose parler, et je ne puis me taire. (1643-56)
  2. Var. Que peut un bel objet attendre d’un grand cœur ! (1643-60)
  3. Var. Jeter un roi du trône, et donner ses États. (1643-60)
  4. Var. « Voilà une imitation admirable de ces beaux vers d’Horace (livre II, ode i, vers 23 et 24) :
    Et cuncta terrarum subacta,
    Præter atrocem animum Catonis
    « Et tout l’univers subjugué, hormis l’âme indomptable de Caton. » (Voltaire.)