Aussi n’est-ce qu’à vous que je veux le devoir[1].
Je suis toujours moi-même, et ma foi toujours pure :
La pitié que je sens ne me rend point parjure ;
J’obéis sans réserve à tous vos sentiments[2],
Et prends vos intérêts par delà mes serments.
J’ai pu, vous le savez, sans parjure et sans crime,
Vous laisser échapper cette illustre victime.
César se dépouillant du pouvoir souverain
Nous ôtoit tout prétexte à lui percer le sein ;
La conjuration s’en alloit dissipée,
Vos desseins avortés, votre haine trompée :
Moi seul j’ai raffermi son esprit étonné,
Et pour vous l’immoler ma main l’a couronné.
Pour me l’immoler, traître ! et tu veux que moi-même
Je retienne ta main ! qu’il vive, et que je l’aime !
Que je sois le butin de qui l’ose épargner,
Et le prix du conseil qui le force à régner !
Ne me condamnez point quand je vous ai servie :
Sans moi, vous n’auriez plus de pouvoir sur sa vie ;
Et malgré ses bienfaits, je rends tout à l’amour,
Quand je veux qu’il périsse, ou vous doive le jour.
Avec les premiers vœux de mon obéissance
Souffrez ce foible effort de ma reconnoissance,
Que je tâche de vaincre un indigne courroux,
Et vous donner pour lui l’amour qu’il a pour vous.
Une âme généreuse, et que la vertu guide,
Fuit la honte des noms d’ingrate et de perfide ;
Elle en hait l’infamie attachée au bonheur,
Et n’accepte aucun bien aux dépens de l’honneur.