Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/461

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Leur haine enracinée au milieu de ton sein
T’avoit mis contre moi les armes à la main ; 1440
Tu fus mon ennemi même avant que de naître[1],
Et tu le fus encor quand tu me pus connoître,
Et l’inclination jamais n’a démenti[2]
Ce sang qui t’avoit fait du contraire parti :
Autant que tu l’as pu, les effets l’ont suivie.1445
Je ne m’en suis vengé qu’en te donnant la vie ;
Je te fis prisonnier pour te combler de biens :
Ma cour fut ta prison, mes faveurs tes liens ;
Je te restituai d’abord ton patrimoine[3] ;
Je t’enrichis après des dépouilles d’Antoine, 1450
Et tu sais que depuis, à chaque occasion,
Je suis tombé pour toi dans la profusion.
Toutes les dignités que tu m’as demandées,
Je te les ai sur l’heure et sans peine accordées ;
Je t’ai préféré même à ceux dont les parents 1455
Ont jadis dans mon camp tenu les premiers rangs[4],
À ceux qui de leur sang m’ont acheté l’empire[5],
Et qui m’ont conservé le jour que je respire.
De la façon enfin qu’avec toi j’ai vécu,
Les vainqueurs sont jaloux du bonheur du vaincu[6]. 1460
Quand le ciel me voulut, en rappelant Mécène,
Après tant de faveur montrer un peu de haine[7],

  1. Ego te, Cinna, quum in hostium castris invenissem, non factum tantum mihi inimicum, sed natum, servavi. (P. 374.)
  2. Var. Et le sang t’ayant fait d’un contraire parti,
    Ton inclination ne l’a point démenti :
    Comme elle l’a suivi, les effets l’ont suivie. (1643-56)
  3. Patrimonium tibi omne concessi. (P. 374.)
  4. Sacerdotium tibi petenti, præteritis compluribus quorum parentes mecum militaverant, dedi. (Ibidem.)
  5. Var. M’ont conservé le jour qu’à présent je respire,
    Et m’ont de tout leur sang acheté cet empire.
  6. Hodie tam felix es et tam dives, ut victo victores invideant. (P. 374.)
  7. Var. Après tant de travaux montrer un peu de haine. (1643 in-4o)
    VaVar. Après tant de faveurs montrer un peu de haine. (1643 in-12 et 48-56)