Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/471

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Elle a lu dans mon cœur ; vous savez le surplus,
Et je vous en ferois des récits superflus.
Vous voyez le succès de mon lâche artifice.1685
Si pourtant quelque grâce est due à mon indice,
Faites périr Euphorbe au milieu des tourments[1],
Et souffrez que je meure aux yeux de ces amants.
J’ai trahi mon ami, ma maîtresse, mon maître,
Ma gloire, mon pays, par l’avis de ce traître, 1690
Et croirai toutefois mon bonheur infini,
Si je puis m’en punir après l’avoir puni.

AUGUSTE.

En est-ce assez, ô ciel ! et le sort, pour me nuire,
A-t-il quelqu’un des miens qu’il veuille encor séduire ?
Qu’il joigne à ses efforts le secours des enfers : 1695
Je suis maître de moi comme de l’univers ;
Je le suis, je veux l’être. Ô siècles, ô mémoire,
Conservez à jamais ma dernière victoire !
Je triomphe aujourd’hui du plus juste courroux
De qui le souvenir puisse aller jusqu’à vous.1700
Soyons amis, Cinna, c’est moi qui t’en convie :
Comme à mon ennemi je t’ai donné la vie,
Et, malgré la fureur de ton lâche destin[2],
Je te la donne encor comme à mon assassin.
Commençons un combat qui montre par l’issue 1705
Qui l’aura mieux de nous ou donnée ou reçue[3].
Tu trahis mes bienfaits, je les veux redoubler ;
Je t’en avois comblé, je t’en veux accabler :

  1. Var. À vos bontés, Seigneur, j’en demanderai deux,
    Le supplice d’Euphorbe, et ma mort à leur yeux. (1643-56)
  2. Il y a destin dans toutes les éditions de Corneille, et même encore dans celle de 1692. Le mot paraît être pris dans un sens conforme à celui de se proposer, résoudre, qu’avait autrefois le verbe destiner (voyez le Lexique). Voltaire a substitué dessein à destin.
  3. Voyez ci-dessus, p. 375 : Vitam tibi, inquit, Cinna, iterum do, prius hosti, nunc insidiatori ac parricidæ. Ex hodierno die inter nos amicitia incipiat. Contendamus utrum ego meliore fide vitam tibi dederim, an tu debeas.