Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/331

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Que j’en dusse espérer une sûre retraite,
505Et que Florange et moi, comme je t’ai conté,
Afin que ce duel ne pût être éventé[1],
Sans prendre de seconds, l’eussions faite de sorte
Que chacun pour sortir choisît diverse porte[2],
Que nous n’eussions ensemble été vus de huit jours,
510Que presque tout le monde ignorât nos amours,
Et que l’occasion me fût si favorable
Que je vis l’innocent saisi pour le coupable
(je crois te l’avoir dit, qu’il nous vint séparer,
Et que sur son cheval je sus me retirer) ;
515Comme je me montrois, afin que ma présence
Donnât lieu d’en juger une entière innocence,
Sur un bruit épandu que le défunt et moi
D’une même beauté nous adorions la loi,
Un prévôt soupçonneux me saisit dans la rue,
520Me mène au prisonnier, et m’expose à sa vue.
Juge quel trouble j’eus de me voir en ces lieux :
Ce cavalier me voit, m’examine des yeux,
Me reconnoît, je tremble encore à te le dire ;
Mais apprends sa vertu, chère sœur, et l’admire.
525Ce grand cœur, se voyant mon destin en la main,
Devient pour me sauver à soi-même inhumain ;
Lui qui souffre pour moi sait mon crime et le nie,
Dit que ce qu’on m’impute est une calomnie,
Dépeint le criminel de toute autre façon,
530Oblige le prévôt à sortir sans soupçon,
Me promet amitié, m’assure de se taire,
Voilà ce qu’il a fait ; vois ce que je dois faire.

MÉLISSE.

L’aimer, le secourir, et tous deux avouer
Qu’une telle vertu ne se peut trop louer.

  1. Var. De peur que ce duel ne pût être éventé. (1645-56)
  2. Var. Que sans armes chacun sortit par une porte. (1645-64)