Aller au contenu

Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/473

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ANTIOCHUS.

Je vois bien plus encor : je vois qu’elle est ma mère ;
Et plus je vois son crime indigne de ce rang,
Plus je lui vois souiller la source de mon sang.
715J’en sens de ma douleur croître la violence ;
Mais ma confusion m’impose le silence,
Lorsque dans ses forfaits sur nos fronts imprimés
Je vois les traits honteux dont nous sommes formés.
Je tâche à cet objet d’être aveugle ou stupide :
720J’ose me déguiser jusqu’à son parricide ;
Je me cache à moi-même un excès de malheur
Où notre ignominie égale ma douleur ;
Et détournant les yeux d’une mère cruelle,
J’impute tout au sort qui m’a fait naître d’elle.
725Je conserve pourtant encore un peu d’espoir :
Elle est mère, et le sang a beaucoup de pouvoir ;
Et le sort l’eût-il faite encor plus inhumaine,
Une larme d’un fils[1] peut amollir sa haine.

SÉLEUCUS.

Ah ! mon frère, l’amour n’est guère véhément[2]
730Pour des fils élevés dans un bannissement,
Et qu’ayant fait nourrir presque dans l’esclavage
Elle n’a rappelés que pour servir sa rage.
De ses pleurs tant vantés je découvre le fard :
Nous avons en son cœur vous et moi peu de part ;
735Elle fait bien sonner ce grand amour de mère,
Mais elle seule enfin s’aime et se considère ;
Et, quoi que nous étale un langage si doux,
Elle a tout fait pour elle, et n’a rien fait pour nous ;
Ce n’est qu’un faux amour que la haine domine :
740Nous ayant embrassés, elle nous assassine,

  1. Les éditions de 1660-82 portent du fils. Toutes les autres, y compris celle de 1692, donnent d’un fils.
  2. Var. Croyez-moi, que l’amour n’est guère véhément. (1647-56)