Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/499

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Vos larmes dans mon cœur ont trop d’intelligence ;
Elles ont presque éteint cette ardeur de vengeance.
Je ne puis refuser des soupirs à vos pleurs ;
Je sens que je suis mère auprès de vos douleurs.
1355C’est en fait, je me rends, et ma colère expire :
Rodogune est à vous aussi bien que l’empire.
Rendez grâces aux Dieux qui vous ont fait l’aîné,
Possédez-la, régnez.

ANTIOCHUS.

Possédez-la, régnez.Ô moment fortuné !
Ô trop heureuse fin de l’excès de ma peine[1] !
1360Je rends grâces aux Dieux qui calment votre haine ;
Madame, est-il possible ?

CLÉOPATRE.

Madame, est-il possible ?En vain j’ai résisté,
La nature est trop forte, et mon cœur s’est dompté[2].
Je ne vous dis plus rien, vous aimez votre mère,
Et votre amour pour moi taira ce qu’il faut taire.

ANTIOCHUS.

1365Quoi ? je triomphe donc sur le point de périr !
La main qui me blessoit a daigné me guérir !

CLÉOPATRE.

Oui, je veux couronner une flamme si belle.
Allez à la Princesse en porter la nouvelle ;
Son cœur comme le vôtre en deviendra charmé :
1370Vous n’aimeriez pas tant si vous n’étiez aimé.

ANTIOCHUS.

Heureux Antiochus ! heureuse Rodogune !
Oui, Madame, entre nous la joie en est commune.

CLÉOPATRE.

Allez donc ; ce qu’ici vous perdez de moments

  1. Var. Oh ! trop heureuse fin d’un excès de misère !
    Je rends grâces aux Dieux qui m’ont rendu ma mère. (1647-56)
  2. Var. La nature est trop forte, et ce cœur s’est dompté.
    Je ne vous dis plus rien, vous aimez une mère. (1647-56)