Aller au contenu

Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/513

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CLÉOPATRE, à Timagène.

La tienne est donc coupable, et ta rage insolente,
Par une lâcheté qu’on ne peut égaler,
1630L’ayant assassiné, le fait encor parler !

ANTIOCHUS.

Timagène, souffrez la douleur d’une mère,
Et les premiers soupçons d’une aveugle colère[1].
Comme ce coup fatal n’a point d’autres témoins,
J’en ferois autant qu’elle, à vous connoître moins.
1635Mais que vous a-t-il dit ? achevez, je vous prie.

TIMAGÈNE.

Surpris d’un tel spectacle, à l’instant je m’écrie ;
Et soudain, à mes cris, ce prince, en soupirant,
Avec assez de peine entr’ouvre un œil mourant ;
Et ce reste égaré de lumière incertaine[2]
1640Lui peignant son cher frère au lieu de Timagène,
Rempli de votre idée, il m’adresse pour vous
Ces mots où l’amitié règne sur le courroux :
« Une main qui nous fut bien chère
Venge ainsi le refus d’un coup trop inhumain.
1645Régnez, et surtout, mon cher frère,
Gardez-vous de la même main.
C’est… » La Parque à ce mot lui coupe la parole ;
Sa lumière s’éteint, et son âme s’envole ;
Et moi, tout effrayé d’un si tragique sort,
1650J’accours pour vous en faire un funeste rapport.

ANTIOCHUS.

Rapport vraiment funeste, et sort vraiment tragique,
Qui va changer en pleurs l’allégresse publique !

  1. Qui cherche à qui se prendre en sa juste colère.
    Vous avez vu sa mort, et sans autres témoins. (1647-56)
  2. Var. Puis, arrêtant sur moi ce reste de lumière,
    Au lieu de Timagène, il croit voir son cher frère ;
    Et plein de votre idée, il m’adresse pour vous. (1647-56)