Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/519

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CLÉOPATRE.

1785Qui m’épargnoit tantôt ose enfin m’accuser !

RODOGUNE.

De toutes deux, Madame, il doit tout refuser.
Je n’accuse personne, et vous tiens innocente ;
Mais il en faut sur l’heure une preuve évidente :
Je veux bien à mon tour subir les mêmes lois.
1790On ne peut craindre trop pour le salut des rois.
Donnez donc cette preuve ; et pour toute réplique,
Faites faire un essai par quelque domestique.

CLÉOPATRE, prenant la coupe.

Je le ferai moi-même. Eh bien ! redoutez-vous
Quelque sinistre effet encor de mon courroux ?
1795J’ai souffert cet outrage avecque patience.

ANTIOCHUS, prenant la coupe des mains de Cléopatre, après qu’elle a bu.

Pardonnez-lui, Madame, un peu de défiance :
Comme vous l’accusez, elle fait son effort
À rejeter sur vous l’horreur de cette mort ;
Et soit amour pour moi, soit adresse pour elle,
1800Ce soin la fait paroître un peu moins criminelle.
Pour moi, qui ne vois rien, dans le trouble où je suis,
Qu’un gouffre de malheurs, qu’un abîme d’ennuis,
Attendant qu’en plein jour ces vérités paroissent,
J’en laisse la vengeance aux Dieux qui les connoissent.
Et vais sans plus tarder…

RODOGUNE.

1805Et vais sans plus tarder…Seigneur, voyez ses yeux
Déjà tout égarés[1], troubles et furieux,

  1. Il y a tous égarés dans toutes les éditions publiées du vivant de Corneille ; tout égarés dans celle de 1692.