Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/520

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Cette affreuse sueur qui court sur son visage,
Cette gorge qui s’enfle. Ah ! bons Dieux ! quelle rage !
Pour vous perdre après elle, elle a voulu périr !

ANTIOCHUS, rendant la coupe à Laonice ou à quelque autre[1].

1810N’importe : elle est ma mère, il faut la secourir.

CLÉOPATRE.

Va, tu me veux en vain rappeler à la vie ;
Ma haine est trop fidèle, et m’a trop bien servie :
Elle a paru trop tôt pour te perdre avec moi ;
C’est le seul déplaisir qu’en mourant je reçoi ;
1815Mais j’ai cette douceur, dedans cette disgrâce,
De ne voir point régner ma rivale en ma place[2].
Règne : de crime en crime enfin te voilà roi.
Je t’ai défait d’un père, et d’un frère, et de moi :
Puisse le ciel tous deux vous prendre pour victimes,
1820Et laisser choir sur vous les peines de mes crimes !
Puissiez-vous ne trouver dedans votre union
Qu’horreur, que jalousie, et que confusion !

  1. Les mots : ou à quelque autre, ont été supprimés dans l’édition de 1692.
  2. Var. [De ne voir point régner ma rivale en ma place.]
    Je n’aimois que le trône, et de son droit douteux
    J’espérois faire un don fatal à tous les deux,
    Détruire l’un par l’autre, et régner en Syrie
    Plutôt par vos fureurs que par ma barbarie.
    Ton frère, avecque toi trop fortement uni (a),
    Ne m’a point écoutée, et je l’en ai puni.
    J’ai cru par ce poison en faire autant du reste ;
    Mais sa force, trop prompte, à moi seule est funeste (b).
    [Règne : de crime en crime enfin te voilà roi.] (1647-60)

    (a) Ton rival, avec toi trop fortement uni. (1660)

    (b) Voltaire donne ces huit vers dans son édition, et oubliant, je ne sais comment, qu’ils se trouvent dans les premières impressions, jusqu’en 1660, il dit dans une note (1764) : « Ces vers ne se trouvent aujourd’hui dans aucune édition connue. Corneille les supprima avec grande raison. Une femme empoisonnée et mourante n’a pas le temps d’entrer dans ces détails ; et une femme aussi forcenée que Cléopatre ne rend point compte ainsi à ses ennemis. Les comédiens de Paris ont rétabli ces vers, pour avoir le mérite de réciter quelques vers que personne ne connoissoit. La singularité les a plus déterminés que le goût. Ils se donnent trop la licence de supprimer et d’allonger des morceaux qu’on doit laisser comme ils étoient. »