Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/66

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CLÉOPATRE.

Non, mais en liberté je ris de son projet.

PTOLOMÉE.

Quel projet faisoit-il dont vous pussiez vous plaindre ?

CLÉOPATRE.

J’en ai souffert beaucoup, et j’avois plus à craindre :
Un si grand politique est capable de tout ;
600Et vous donnez les mains à tout ce qu’il résout.

PTOLOMÉE.

Si je suis ses conseils, j’en connois la prudence.

CLÉOPATRE.

Si j’en crains les effets, j’en vois la violence.

PTOLOMÉE.

Pour le bien de l’État tout est juste en un roi.

CLÉOPATRE.

Ce genre de justice est à craindre pour moi :
605Après ma part du sceptre, à ce titre usurpée,
Il en coûte la vie et la tête à Pompée.

PTOLOMÉE.

Jamais un coup d’État ne fut mieux entrepris.
Le voulant secourir, César nous eût surpris :
Vous voyez sa vitesse ; et l’Égypte troublée
610Avant qu’être en défense en seroit accablée ;
Mais je puis maintenant à cet heureux vainqueur
Offrir en sûreté mon trône et votre cœur.

CLÉOPATRE.

Je ferai mes présents ; n’ayez soin que des vôtres,
Et dans vos intérêts n’en confondez point d’autres.

PTOLOMÉE.

615Les vôtres sont les miens, étant de même sang.

CLÉOPATRE.

Vous pouvez dire encore, étant de même rang,
Étant rois l’un et l’autre ; et toutefois je pense
Que nos deux intérêts ont quelque différence.