Et son courroux mourant fait un dernier effort
Pour reprocher aux Dieux sa défaite et sa mort.
César, à cet aspect, comme frappé du foudre,
Et comme ne sachant que croire ou que résoudre,
Immobile, et les yeux sur l’objet attachés,
Nous tient assez longtemps ses sentiments cachés ;
Et je dirai, si j’ose en faire conjecture,
Que, par un mouvement commun à la nature,
Quelque maligne joie en son cœur s’élevoit,
Dont sa gloire indignée à peine le sauvoit.
L’aise de voir la terre à son pouvoir soumise
Chatouilloit malgré lui son âme avec surprise,
Et de cette douceur son esprit combattu
Avec un peu d’effort rassuroit sa vertu.
S’il aime sa grandeur, il hait la perfidie ;
Il se juge en autrui, se tâte, s’étudie,
Examine en secret sa joie et ses douleurs[1],
Les balance, choisit, laisse couler des pleurs ;
Et forçant sa vertu d’être encore la maîtresse,
Se montre généreux par un trait de foiblesse ;
Ensuite il fait ôter ce présent de ses yeux,
Lève les mains ensemble et les regards aux cieux,
Lâche deux ou trois mots contre cette insolence ;
Puis tout triste et pensif il s’obstine au silence,
Et même à ses Romains ne daigne repartir
Que d’un regard farouche et d’un profond soupir.
Enfin, ayant pris terre avec trente cohortes,
Il se saisit du port, il se saisit des portes,
Met des gardes partout et des ordres secrets,
Fait voir sa défiance, ainsi que ses regrets,
Parle d’Égypte en maître et de son adversaire,
- ↑ Var. Consulte à sa raison sa joie et ses douleurs,
Examine, choisit, laisse couler des pleurs. (1644-56)