Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/76

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Elle qui d’un même œil les donne et les dédaigne,
Qui ne voit rien aux rois qu’elle aime ou qu’elle craigne,
815Et qui verse en nos cœurs, avec l’âme et le sang,
Et la haine du nom, et le mépris du rang.
C’est ce que de Pompée il vous falloit apprendre :
S’il en eût aimé l’offre, il eût su s’en défendre ;
Et le trône et le roi se seroient ennoblis
820À soutenir la main qui les a rétablis.
Vous eussiez pu tomber, mais tout couvert de gloire :
Votre chute eût valu la plus haute victoire ;
Et si votre destin n’eût pu vous en sauver,
César eût pris plaisir à vous en relever.
825Vous n’avez pu former une si noble envie ;
Mais quel droit aviez-vous sur cette illustre vie ?
Que vous devoit son sang pour y tremper vos mains,
Vous qui devez respect au moindre des Romains ?
Ai-je vaincu pour vous dans les champs de Pharsale[1] ?
830Et par une victoire aux vaincus trop fatale,
Vous ai-je acquis sur eux, en ce dernier effort,
La puissance absolue et de vie et de mort ?
Moi qui n’ai jamais pu la souffrir à Pompée,
La souffrirai-je en vous sur lui-même usurpée,
835Et que de mon bonheur vous ayez abusé
Jusqu’à plus attenter que je n’aurois osé ?
De quel nom, après tout, pensez-vous que je nomme
Ce coup où vous tranchez du souverain de Rome,
Et qui sur un seul chef lui fait bien plus d’affront
840Que sur tant de milliers ne fit le roi de Pont[2] ?
Pensez-vous que j’ignore ou que je dissimule
Que vous n’auriez pas eu pour moi plus de scrupule,

  1. Var. Ai-je vaincu pour vous dans le sang de Pharsale ? (1648-54 et 56)
    Var. Ai-je vaincu pour vous dans le champ de Pharsale ? (1655)
  2. Mithridate avait fait égorger à la fois dans les villes de l’Asie tous les Romains qui s’y trouvaient.