Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/87

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Mais c’est une imprudence assez commune aux rois
D’écouter trop d’avis, et se tromper au choix ;
Le destin les aveugle au bord du précipice ;
Ou si quelque lumière en leur âme se glisse,
1095Cette fausse clarté, dont il les éblouit,
Les plonge dans un gouffre, et puis s’évanouit.

PHOTIN.

J’ai mal connu César ; mais puisqu’en son estime
Un si rare service est un énorme crime,
Il porte dans son flanc de quoi nous en laver[1] ;
1100C’est là qu’est notre grâce, il nous l’y faut trouver.
Je ne vous parle plus de souffrir sans murmure,
D’attendre son départ pour venger cette injure ;
Je sais mieux conformer les remèdes au mal :
Justifions sur lui la mort de son rival ;
1105Et notre main alors également trempée
Et du sang de César et du sang de Pompée,
Rome, sans leur donner de titres différents,
Se croira par vous seul libre de deux tyrans.

PTOLOMÉE.

Oui, par là seulement ma perte est évitable[2] :
1110C’est trop craindre un tyran que j’ai fait redoutable.
Montrons que sa fortune est l’œuvre de nos mains ;
Deux fois en même jour disposons des Romains ;
Faisons leur liberté comme leur esclavage.
César, que tes exploits n’enflent plus ton courage ;
1115Considère les miens, tes yeux en sont témoins.
Pompée étoit mortel, et tu ne l’es pas moins ;
Il pouvoit plus que toi ; tu lui portois envie ;
Tu n’as, non plus que lui, qu’une âme et qu’une vie ;
Et son sort que tu plains te doit faire penser

  1. Var. Sire, il porte en son flanc de quoi nous en laver. (1644-63)
  2. Var. Oui, oui, ton sentiment enfin est véritable :
    C’est trop craindre celui que j’ai fait redoutable. (1644-56)