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ŒDIPE.

Fort sincère et fort véritable,
Le beau titre d’inimitable.
Mais cela ne me surprend pas
Qu’elle ait d’admirables appas,
Ni qu’elle soit rare et parfaite :
Le divin Corneille l’a faite.

La pièce eut un si grand succès que tout Paris y courut. La femme du lieutenant criminel Tardieu, dont Boileau, dans sa dixième satire[1], nous peint si énergiquement « la honteuse lésine, » se montra désireuse, elle aussi, d’aller voir l’ouvrage nouveau, à la condition toutefois que ce fût sans bourse délier. C’est Tallemant qui nous apprend de quelle manière elle en trouva l’occasion. « M. l’évêque de Rennes, frère aîné du maréchal de la Mothe, alla en 1659, au mois de janvier, pour parler au lieutenant criminel. Sa femme vint ouvrir, qui lui dit que le lieutenant criminel n’y étoit pas, mais que s’il vouloit faire plaisir à Madame, il la mèneroit jusqu’à l’hôtel de Bourgogne, où elle vouloit voir l’Œdipe de Corneille. Il n’osa refuser, et la prenant pour une servante, il lui dit : « Bien ; allez donc avertir Madame. » Elle s’ajusta un peu, et puis revint. Lui, lui disoit : « Mais Madame ne veut-elle point venir ? » Enfin elle fut contrainte de lui dire que c’étoit elle. Il la mena, mais en enrageant. Elle vouloit qu’il entrât avec elle ; il s’en excusa, et lui renvoya le carrosse du premier qu’il rencontra pour la ramener. »

Moins impatient que Mme Tardieu, le Roi n’alla voir Œdipe que le 8 février. Dans son numéro du 9, le scrupuleux Loret parle déjà en ces termes de cette représentation aux lecteurs de la Muse historique :

Durant qu’auprès de mes tisons
Ma muse se fonde en raisons,
Étant le jour où je besogne,
On joue à l’hôtel de Bourgogne
Ce poëme rare et nouveau
Que tout Paris trouve si beau,
Et que tout bon esprit admire.
Devant le Roi, notre cher Sire,

  1. Vers 249-340. — 2. Historiettes, tome III, P. 485.