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APPENDICE

pour dire un homme qui ne travaille plus ; si bien que l’on peut dire avec l’autorité de ce grand et fameux auteur, en parlant notre vrai langage : « Cette personne me fait de grands présents afin que je quitte la paresse qui m’empêche de travailler. Cette personne répand l’éclat de sa bonté sur l’endurcissement de mon oisiveté. » Et ensuite ce même auteur ajoute, s’écria-elle :

Il te seroit honteux d’affermir ton silence[1],

pour dire garder plus longtemps le silence. » Félix voulut parler à cet endroit ; mais Émilie le pria de différer et de l’écouter encore quelque temps, disant qu’elle lui montreroit des façons de parler bien plus extraordinaires, comme par exemple dans les vers suivants :

Ce seroit présumer que d’une seule vue
J’aurois vu de ton cœur la plus vaste étendue.[2]

« Il est aisé de voir, poursuivit Émilie, que par ces mots : d’une seule vue, il prétend dire au premier aspect je te connoîtrois entier ; car il ne faut pas douter qu’en cet endroit il n’ait pris vu pour connu ; ce que je dis, ajouta-elle, se montre par deux vers qui sont plus bas :

Mais pour te voir entier, il faudroit un loisir
Que tes délassements daignassent me choisir.[3]

Il explique par cette pensée qu’il faudroit pour le connoître entier qu’il lui donnât plus de temps à le considérer, et il faut que vous m’avouiez qu’elle ne reçoit d’éclat que de son expression extraordinaire : Un loisir que tes délassements daignassent choisir. » Ici Félix rendit justice au mérite de Cléocrite, et après avoir dit que les grands hommes pouvoient hasarder des choses que l’on condamneroit en d’autres, il avoua que ce qu’elles avoient remarqué étoit assurément extraordinaire ; mais il dit que dans la prose il n’auroit pas tant donné à l’expression, et se seroit rendu plus facile à entendre que dans cette petite pièce dont elles avoient tiré ce qu’elles alléguoient. Léosthène répondit à ce que lui objectoit Félix, que dans la prose elles ne trouvoient pas moins lieu de se défendre que dans ces vers ; puis elle poursuivit ainsi : « C’est ce que je vous montre dans l’endroit de la préface de cet illustre, dont je n’allègue les façons de parler extraordinaires et délicates que pour nous justifier de vos accusations, et non pour les condamner, et vous le pouvez lire vous-même. »

  1. Vers à Foucquet, ci-après, p. 122, vers 21.
  2. Ibidem, p. 123, vers 53 et 54.
  3. Ibidem, p. 123, vers 63 et 64.