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APPENDICE

N’est-il pas vrai que cette manière n’a rien de commun, et qu’il est nouveau de s’exprimer comme il fait par ce dernier vers : La frayeur a couru, etc., pour dire : La frayeur a saisi tous les cœurs de ceux qui étoient présents ? Il ne fait pas encore difficulté de prendre dans pour parmi. Celle qui suit est comme je vous en ai déjà cité, et il se sert encore du mot faire pour dire causer, comme il a déjà fait ci-devant pour dire donner :

Et j’aurois cette honte, en ce funeste sort,
D’avoir prêté mon crime à faire votre mort[1],

pour dire : à causer votre mort. » Félix dit alors qu’elles ne devoient pas s’étonner qu’il se servît d’une façon de parler commune à plusieurs nations, et que c’étoit ce que l’on devoit admirer en ce grand homme, de ce qu’il rendoit si naturellement toutes les pensées des étrangers. Léosthène lui repartit aussitôt : « Aussi voulons-nous nous défendre par son exemple, non pas l’attaquer ; et plus nous irons avant, et plus il nous sera facile de vous prouver que nous parlons comme les grands auteurs, et je vous donnerai encore plusieurs preuves de cette vérité par les exemples qui suivent :

Je n’ose demander si de pareils avis
Portent des sentiments que vous ayez suivis[2].

Vous voyez qu’il dit portent pour dire marquent, et qu’avec cela il ne fait pas difficulté, pour s’exprimer d’une façon peu commune, de mettre avis, comme s’il pouvoit servir de nominatif au verbe portent. Mais, sans m’arrêter à cela, je passe plus outre, pour vous lire ce vers, où j’ai trouvé :

Qu’un frère a pour des sœurs une ardeur plus remise[3].

Il dit que les ardeurs d’un frère sont remises, pour dire qu’un frère aime avec moins de chaleur, ou, pour l’expliquer autrement, pour dire qu’un frère n’aime pas une sœur avec tant de force ni de violence. Celui que voici n’est pas moins extraordinaire que les autres, et, pour vous parler comme vous nous faites souvent, n’est pas moins précieux :

Vous n’êtes point mon fils, si vous n’êtes méchant :
Le ciel sur sa naissance imprima ce penchant[4].

  1. Acte II, scène iv, vers 749 et 760, p. 166.
  2. Acte III, scène ii, vers 871 et 872, p. 171.
  3. Acte III, scène v, vers 871 et 872, p. 171.
  4. Ibidem, vers 1127 et 1128, p. 182.