Un bruit court depuis peu qu’il vous a mal servie,
Que ce fils qu’on croit mort est encor plein de vie.
L’oracle de Laïus par là devient douteux,
Et tout ce qu’il a dit peut s’étendre sur deux.
Seigneur, ou sur ce bruit je suis fort abusée,
Ou ce n’est qu’un effet de l’amour de Thésée :
Pour sauver ce qu’il aime et vous embarrasser,
Jusques à votre oreille il l’aura fait passer ;
Mais Phorbas aisément convaincra d’imposture
Quiconque ose à sa foi faire une telle injure.
L’innocence de l’âge aura pu l’émouvoir.
Je l’ai toujours connu ferme dans son devoir ;
Mais si déjà ce bruit vous met en jalousie,
Vous pouvez consulter le devin Tirésie[1],
Publier sa réponse, et traiter d’imposteur
De cette illusion le téméraire auteur.
Je viens de le quitter, et de là vient ce trouble
Qu’en mon cœur alarmé chaque moment redouble.
- ↑ « Quelle différence entre ce froid récit de la consultation, et les terribles prédictions que fait Tirésie dans Sophocle ! Pourquoi n’a-t-on pu faire paraître ce Tirésie sur le théâtre de Paris ? J’ose croire que si on avait eu du temps de Corneille un théâtre tel que nous l’avons depuis trois ans, grâce à la genérosité éclairée de M. le comte de Lauraguais*, le grand Corneille n’eût pas hésité à produire Tirésie sur la scène, à imiter le dialogue admirable de Sophocle. » (Voltaire, 1764.)
*. On trouve dans les Mémoires de Henri-Louis Lehain, publiés pas son fils aîné, un Mémoire qui tend à prouver la nécessité de supprimer les banquettes de dessus le théâtre de la Comédie françoise. Ce mémoire, daté du 20 janvier 1759, était destiné à faire ressortir l’utilité du plan présenté par l’architecte Desbœufs. À la fin on lit en note : « Le plan fut approuvé par le Roi dans le courant de février ; et M. le comte de Lauraguais, qui se chargea de toute la dépense, fit dans cette occasion ce que le ministère public auroit dû faire. »