« Ce prince, m’a-t-il dit, respire en votre cour :
Vous pourrez le connaître avant la fin du jour ;
Mais il pourra vous perdre en se faisant connoître.
Puisse-t-il ignorer quel sang lui donne l’être ! »
Voilà ce qu’il m’a dit d’un ton si plein d’effroi,
Qu’il l’a fait rejaillir[1] jusqu’en l’âme d’un roi.
Ce fils, qui devait être inceste et parricide,
Doit avoir un cœur lâche, un courage perfide ;
Et par un sentiment facile à deviner,
Il ne se cache ici que pour m’assassiner :
C’est par là qu’il aspire à devenir monarque,
Et vous le connoîtrez bientôt à cette marque.
Quoi qu’il en soit, madame, allez trouver Phorbas :
Tirez-en, s’il se peut, les clartés qu’on n’a pas.
Tâchez en même temps de voir aussi Thésée :
Dites-lui qu’il peut faire une conquête aisée,
Qu’il ose pour Dircé, que je n’en verrai rien.
J’admire un changement si confus que le mien :
Tantôt dans leur hymen je croyois voir ma perte,
J’allois pour l’empêcher jusqu’à la force ouverte ;
Et sans savoir pourquoi, je voudrois que tous deux
Fussent, loin de ma vue, au comble de leurs vœux,
Que les emportements d’une ardeur mutuelle
M’eussent débarrassé de son amant et d’elle.
Bien que de leur vertu rien ne me soit suspect,
Je ne sais quelle horreur me trouble à leur aspect ;
Ma raison la repousse, et ne m’en peut défendre ;
Moi-même en cet état je ne puis me comprendre ;
Et l’énigme du Sphinx fut moins obscur[2] pour moi
Que le fond de mon cœur ne l’est dans cet effroi :
Plus je le considère, et plus je m’en irrite.
Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/193
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