Aller au contenu

Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
188
ŒDIPE.

Puisque le ciel vous force, il vous rend excusable ;
1255Et l’amour pour les sens est un si doux poison,
Qu’on ne peut pas toujours écouter la raison.
Moi-même, en qui l’honneur n’accepte aucune grâce,
J’aime en ce douteux sort tout ce qui m’embarrasse,
Je ne sais quoi m’y plaît qui n’ose s’exprimer,
1260Et ce confus mélange a de quoi me charmer.
Je n’aime plus qu’en sœur, et malgré moi j’espère.
Ah ! Prince, s’il se peut, ne soyez point mon frère,
Et laissez-moi mourir avec les sentiments
Que la gloire permet aux illustres amants.

Thésée.

1265Je vous ai déjà dit, princesse, que peut-être,
Sitôt que vous vivrez, je cesserai de l’être :
Faut-il que je m’explique ? Et toute votre ardeur
Ne peut-elle sans moi lire au fond de mon cœur ?
Puisqu’il est tout à vous, pénétrez-y, Madame :
1270Vous verrez que sans crime il conserve sa flamme.
Si je suis descendu jusqu’à vous abuser,
Un juste désespoir m’auroit fait plus oser ;
Et l’amour, pour défendre une si chère vie,
Peut faire vanité d’un peu de tromperie.
1275J’en ai tiré ce fruit, que ce nom décevant
A fait connoître ici que ce prince est vivant.
Phorbas l’a confessé ; Tirésie a lui-même
Appuyé de sa voix cet heureux stratagème :
C’est par lui qu’on a su qu’il respire en ces lieux.
1280Souffrez donc qu’un moment je trompe encor leurs yeux ;
Et puisque dans ce jour ce frère doit paroître,
Jusqu’à ce qu’on l’ait vu permettez-moi de l’être.

Dircé.

Je pardonne un abus que l’amour a formé,
Et rien ne peut déplaire alors qu’on est aimé.
1285Mais hasardiez-vous tant sans aucune lumière ?