Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/358

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Du pays et du sang l’amour rompt les liens, 2110
Et les dieux de Jason sont plus forts que les miens.
Ma sœur avec ses fils m’attend dans le navire ;
Je la suis, et ne fais que ce qu’elle m’inspire ;
De toutes deux Madame ici vous tiendra lieu.
Consolez-vous, Seigneur, et pour jamais adieu. 2115

(Elle s’envole avec la toison[1].)



Scène VI

AÆTE, ABSYRTE, HYPSIPYLE, JUNON.
Aæte.

Ail ! Madame ; ah ! mon fils ; ah ! sort inexorable.
Est-il sur terre un père, un roi plus déplorable ?
Mes filles toutes deux contre moi se ranger !
Toutes deux à ma perte à l’envi s’engager !

Junon, dans son char.

On vous abuse, Aæte ; et Médée elle-même, 2120
Dans l’amour qui la force à suivre ce qu’elle aime,
S’abuse comme vous.
Chalciope n’a point de part en cet ouvrage :
Dans un coin du jardin, sous un épais nuage,
Je l’enveloppe encor d’un sommeil assez doux, 2125
Cependant qu’en sa place ayant pris son visage,
Dans l’esprit de sa sœur j’ai porté les grands coups[2]
Qui donnent à Jason ce dernier avantage.
Junon a tout fait seule ; et je remonte aux cieux
Presser le souverain des Dieux 2130
D’approuver ce qu’il m’a plu faire.
Mettez votre esprit en repos ;

  1. Var. Elle s’envole avec la toison, et disparaît. (1661)
  2. Dans l’édition de 1692 : « de grands coups. »