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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/452

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SERTORIUS.

Qu’il s’obstinait pour vous au refus de ma main.

Aristie.

Et tu peux lui plonger un poignard dans le sein !
Et ton bras…

Viriate.

Et ton bras…
Permettez, Madame, que j’estime1765
La grandeur de l’amour par la grandeur du crime.
Chez lui-même, à sa table, au milieu d’un festin,
D’un si parfait ami devenir l’assassin,
Et de son général se faire un sacrifice,
Lorsque son amitié lui rend un tel service ;1770
Renoncer à la gloire, accepter pour jamais
L’infamie et l’horreur qui suit les grands forfaits ;
Jusqu’en mon cabinet porter sa violence,
Pour obtenir ma main m’y tenir sans défense :
Tout cela d’autant plus fait voir ce que je doi1775
À cet excès d’amour qu’il daigne avoir pour moi ;
Tout cela montre une âme au dernier point charmée.
Il seroit moins coupable à m’avoir moins aimée ;
Et comme je n’ai point les sentiments ingrats,
Je lui veux conseiller de ne m’épouser pas.1780
Ce seroit en son lit mettre son ennemie,
Pour être à tous moments maîtresse de sa vie ;
Et je me résoudrois à cet excès d’honneur,
Pour mieux choisir la place à lui percer le cœur[1].
Seigneur, voilà l’effet de ma reconnoissance.1785

  1. « Rodelinde dit dans Pertharite (acte III, scène ii, vers 998 et 1000) :
    Pour mieux choisir la place à te percer le cœur*
    . . . . . . . . . . . . . . . . . .
    À ces conditions prends ma main, si tu l’oses. »
    (Voltaire)

    *. Dans Pertharite (voyez ci-dessus, p 62), le texte de ce vers et du precedent est :
    Pour avoir l’acces libre deja pousser ma fureur,
    Et mieux choisir la place à te percer le cœur.