Du reste, ma personne est en votre puissance :
Vous êtes maître ici ; commandez, disposez,
Et recevez enfin ma main, si vous l’osez.
Moi ! Si je l’oserai ? Vos conseils magnanimes
Pouvoient perdre moins d’art à m’étaler mes crimes :
J’en connois mieux que vous toute l’énormité,
Et pour la bien connoître ils m’ont assez coûté.
On ne s’attache point, sans un remords bien rude,
À tant de perfidie et tant d’ingratitude :
Pour vous je l’ai dompté, pour vous je l’ai détruit ;
J’en ai l’ignominie, et j’en aurai le fruit.
Menacez mes forfaits et proscrivez ma tête :
De ces mêmes forfaits vous serez la conquête ;
Et n’eût tout mon bonheur que deux jours à durer,
Vous n’avez dès demain qu’à vous y préparer.
J’accepte votre haine, et l’ai bien méritée ;
J’en ai prévu la suite, et j’en sais la portée.
Mon triomphe…
Scène V.
Nos soldats mutinés, le peuple soulevé.
La porte s’est ouverte à son nom, à son ombre.
Nous n’avons point d’amis qui ne cèdent au nombre :
Antoine et Manlius[1], déchirés par morceaux,
- ↑ Corneille a emprunté à Plutarque les noms d’Antoine et de Manlius, aussi bien que celui d’Aufide (ci-dessus, p 364, note 1). Ce fut Antoine qui porta le premier coup à Sertorius. Voyez la Vie de Sertorius, chapitre xxvi.