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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/499

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485
ACTE I, SCÈNE IV.
SOPHONISBE

285Si mon amour égal rend vos jours fortunés,
Vous souvient-il encor de qui vous le[1] tenez ?

SYPHAX

De vos bontés, Madame.

SOPHONISBE

De vos bontés, Madame.Ah ! cessez, je vous prie,
De faire en ma faveur outrage à ma patrie.
Un autre avoit le choix de mon père et le mien ;
290Elle seule pour vous rompit ce doux lien.
Je brûlois d’un beau feu, je promis de l’éteindre ;
J’ai tenu ma parole, et j’ai su m’y contraindre.
Mais vous ne tenez pas, Seigneur, à vos amis
Ce qu’acceptant leur don vous leur avez promis ;
295Et pour ne pas user vers vous d’un mot trop rude,
Vous montrez pour Carthage un peu d’ingratitude.
Quoi ? vous qui lui devez ce bonheur de vos jours,
Vous que mon hyménée engage à son secours,
Vous que votre serment attache à sa défense[2],
300Vous manquez de parole et de reconnoissance,
Et pour remercîment de me voir en vos mains,
Vous la livrez vous-même en celles des Romains[3] !
Vous brisez le pouvoir dont vous m’avez reçue,
Et je serai le prix d’une amitié rompue,
305Moi qui pour en étreindre[4] à jamais les grands nœuds,
Ai d’un amour si juste éteint les plus beaux feux !

  1. L’édition de 1692 a changé le en les.
  2. Quand Syphax épousa Sophonisbe, les Carthaginois et lui se lièrent par des engagements réciproques et se promirent, sous la foi du serment, d’avoir les memes amis et les mêmes ennemis : data ultro citroque fide, eosdem amicos inimicosque habituros (Tite Live, livre XXIX, chapitre xxiii.)
  3. Dans les éditions de Thomas Corneille et de Voltaire, il y a celle, au singulier : « en celle des Romains. »
  4. Les impressions de 1668 et de 1682 ont ici l’une et l’autre la même faute typographique : éteindre, pour étreindre.