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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/529

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ACTE II, SCÈNE VI.

Et vous m’aviez promis en partant…Ah ! Madame,
Qu’une telle promesse étoit douce à votre âme !
Ma mort faisoit dès lors vos plus ardents souhaits[1].

SOPHONISBE.

Non ; mais je vous tiens mieux ce que je vous promets :
1045Je vis encore en reine, et je mourrai de même.

SYPHAX.

Dites que votre foi tient toute au diadème,
Que les plus saintes lois ne peuvent rien sur vous.

SOPHONISBE.

Ne m’attachez point tant au destin d’un époux,
Seigneur ; les lois de Rome et celles de Carthage
1050Vous diront que l’hymen se rompt par l’esclavage[2],
Que vos chaînes du nôtre ont brisé le lien,
Et qu’étant dans les fers, vous ne m’êtes plus rien.
Ainsi par les lois même en mon pouvoir remise,
Je me donne au monarque à qui je fus promise,
1055Et m’acquitte envers lui d’une première foi
Qu’il reçut avant vous de mon père et de moi.
Ainsi mon changement n’a point de perfidie :
J’étois et suis encore au roi de Numidie,
Et laisse à votre sort son flux et son reflux[3],
1060Pour régner malgré lui quand vous ne régnez plus.

SYPHAX.

Ah ! s’il est quelques lois qui souffrent qu’on étale
Cet illustre mépris de la foi conjugale,
Cette hauteur, Madame, a d’étranges effets,
Après m’avoir forcé de refuser la paix.

  1. Il y a dans l’édition de 1682 une faute étrange qui a été reproduite par celle de 1692 : « vos pleurs ardents souhaits. »
  2. Voyez plus haut, p. 465, note 2.
  3. L’orthographe de ces mots dans l’édition originale (1663) est flux et reflus ; dans les suivantes, y compris celle de 1692 : flus et reflus.