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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/635

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ACTE III, SCÈNE V.

S’il faut que de Pison on accepte la loi,
1060Rome, tant qu’il vivra, n’aura plus d’yeux pour moi ;
Elle a beau murmurer contre un indigne maître,
Elle en souffre, pour lâche ou méchant qu’il puisse être.
Tibère étoit cruel, Caligule brutal,
Claude foible, Néron en forfaits sans égal :
1065Il se perdit lui-même à force de grands crimes ;
Mais le reste a passé pour princes légitimes.
Claude même, ce Claude et sans cœur et sans yeux,
À peine les ouvrit qu’il devint furieux ;
Et Narcisse et Pallas, l’ayant mis en furie,
1070Firent sous son aveu régner la barbarie.
Il régna toutefois, bien qu’il se fît haïr,
Jusqu’à ce que Néron se fâchât d’obéir ;
Et ce monstre ennemi de la vertu romaine
N’a succombé que tard sous la commune haine.
1075Par ce qu’ils ont osé, jugez sur vos refus
Ce qu’osera Pison gouverné par Lacus.
Il aura peine à voir, lui qui pour vous soupire,
Que votre hymen chez moi laisse un droit à l’empire.
Chacun sur ce penchant voudra faire sa cour ;
1080Et le pouvoir suprême enhardit bien l’amour.
Si Néron, qui m’aimoit, osa m’ôter Poppée[1],
Jugez, pour ressaisir votre main usurpée,
Quel scrupule on aura du plus noir attentat
Contre un rival ensemble et d’amour et d’État.
1085Il n’est point ni d’exil, ni de Lusitanie[2],

  1. Tacite, dans le portrait déjà cité plus haut, au vers 620 (p. 601, note 1), s’exprime ainsi au sujet de Poppée : Gratus Neroni, æmulatione luxus ; eoque jam Poppæam Sabinam, principale scortum, ut apud conscium libidinum, deposuerat, donec Octaviam uxorem amoliretur : mox suspectum in eadem Poppæa, in provinciam Lusitaniam, specie legationis, seposuit. (Histoires, livre I, chapitre xiii.)
  2. Prægravem se Neroni fuisse ; nec Lusitaniam rursus et alterius exsilii honorem exspectandum. (Tacite, Histoires, livre I, chapitre xxi.)