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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/115

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AU LECTEUR.

AU LECTEUR[1].

Le nom d’Attila[2] est assez connu ; mais tout le monde n’en connoît pas tout le caractère. Il étoit plus homme de tête que de main[3], tâchoit à diviser ses ennemis, ravageoit les peuples indéfendus, pour donner de la terreur aux autres, et tirer tribut de leur épouvante, et s’étoit fait un tel empire sur les rois qui l’accompagnoient, que quand même il leur eût commandé des parricides, ils n’eussent osé lui désobéir. Il est malaisé de savoir quelle étoit sa religion ; le surnom de Fléau de Dieu[4], qu’il prenoit lui-même, montre qu’il n’en croyoit pas plusieurs. Je l’estimerois arien, comme les Ostrogoths et les Gépides[5] de son armée, n’étoit la pluralité des femmes, que je lui ai retranchée ici. Il croyoit fort aux devins, et c’étoit peut-être tout ce qu’il croyoit. Il envoya demander par deux fois à l’empereur Valentinian[6] sa sœur Hono-

  1. Le titre Au lecteur ne se trouve que dans l’édition originale, 1668. Voyez tome VI, p. 357, note 1.
  2. Attila, roi des Huns, qui commença à régner l’an de Jésus-Christ 434 ou 435, était né, suivant toute apparence, dans les dernières années du quatrième siècle. Il mourut en 453.
  3. Homo subtilis, antequam arma gereret, arte pugnabat. (Jornandès, de Getarum rebus gestis, chapitre xxxvi.) Au chapitre précédent Jornandès dit de lui qu’il était « très-fort par le conseil, » consilio validissimus.
  4. « À quelle époque précise est née cette formule fameuse d’Attila flagellum Dei, dont les légendaires et les chroniqueurs ne font qu’un mot auquel ils laissent la physionomie latine, même en langue vulgaire ? On ne le sait pas : tout ce qu’on peut dire, c’est qu’elle ne se trouve chez aucun auteur contemporain, et que la légende de saint Loup… écrite au huitième ou neuvième siècle par un prêtre de Troyes, est le plus ancien document qui nous la donne. » (Histoire d’Attila, par M. Amédée Thierry, tome II, p. 248.)
  5. Les mots : « et les Gépides, » ne sont pas dans l’édition originale.
  6. Les éditions de Thomas Corneille (1692) et de Voltaire (1764)