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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/133

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ACTE I, SCÈNE II.
ARDARIC.

Vous le pouvez, Seigneur, et dès ce même instant.320
Souffrez qu’à votre exemple en deux mots je m’explique.
Vous aimez ; mais ce n’est qu’un amour politique ;
Et puisque je vous dois confidence à mon tour,
J’ai pour l’autre princesse un véritable amour ;
Et c’est ce qui m’oblige à parler pour l’empire,325
Afin qu’on m’abandonne un objet où j’aspire.
Une étroite amitié l’un à l’autre nous joint ;
Mais enfin nos désirs ne compatissent point.
Voyons qui se doit vaincre, et s’il faut que mon âme
À votre ambition immole cette flamme ;330
Ou s’il n’est point plus beau que votre ambition
Elle-même s’immole à cette passion.

VALAMIR.

Ce seroit pour mon cœur un cruel sacrifice.

ARDARIC.

Et l’autre pour le mien seroit un dur supplice.
Vous aime-t-on ?

VALAMIR.

Vous aime-t-on ?Du moins j’ai lieu de m’en flatter.335
Et vous, Seigneur ?

ARDARIC.

Et vous, Seigneur ?Du moins on me daigne écouter.

VALAMIR.

Qu’un mutuel amour est un triste avantage.
Quand ce que nous aimons d’un autre est le partage !

ARDARIC.

Cependant le tyran prendra pour attentat
Cet amour qui fait seul tant de raisons d’État.340
Nous n’avons que trop vu jusqu’où va sa colère,
Qui n’a pas épargné le sang même d’un frère[1],

  1. Bleda, rex Hunnorum, Attilæ, fiatris sui, insidiis interimitur. (Marcellini