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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/143

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ACTE II, SCÈNE V.
OCTAR.

Vous savez toutefois qu’Attila ne l’est pas,
Et combien son trop d’heur lui cause d’embarras.

ARDARIC.

Ah ! puisqu’il a des yeux, sans doute il la préfère.
Mais vous vous louez fort aussi du roi son frère.550
Ne me déguisez rien : a-t-il des qualités
À se faire admirer ainsi de tous côtés ?
Est-ce une vérité que ce que j’entends dire,
Ou si c’est sans raison que l’univers l’admire ?

OCTAR.

Je ne sais pas, Seigneur, ce qu’on vous en a dit[1] ;555
Mais si pour l’admirer ce que j’ai vu suffit.
Je l’ai vu dans la paix, je l’ai vu dans la guerre,
Porter partout un front de maître de la terre.
J’ai vu plus d’une fois de fières nations
Désarmer son courroux par leurs soumissions[2].560
J’ai vu tous les plaisirs de son âme héroïque
N’avoir rien que d’auguste et que de magnifique ;
Et ses illustres soins ouvrir à ses sujets
L’école de la guerre au milieu de la paix[3].
Par ces délassements sa noble inquiétude565
De ses justes desseins faisoit l’heureux prélude ;
Et si j’ose le dire, il doit nous être doux
Que ce héros les tourne ailleurs que contre nous.
Je l’ai vu, tout couvert de poudre et de fumée.
Donner le grand exemple à toute son armée[4],570

  1. Dans ce portrait de Mérovée et de son fils, Corneille s’est appliqué à peindre Louis XIV et le grand Dauphin, qui, né en 1661, était alors effectivement « dans son premier lustre, » ou du moins en sortait à peine.
  2. Ce mot, dont l’orthographe ordinaire dans Corneille est submissions, est imprimé ici, dans toutes les éditions, avec un accent circonflexe : soûmissions.
  3. En 1666, il y avait eu à Compiègne et ailleurs de grandes revues, « pour préparer les troupes aux expéditions de l’année suivante. » (Abrégé chronologique de l’Histoire de France, par le président Hénault, année 1666.)
  4. Comparez les vers 277 et 278 du Cid (tome III, p. 120)