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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/145

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ACTE II, SCÈNE VI.

Scène VI.

ARDARIC, ILDIONE.
ILDIONE.

On vous a consulté, Seigneur ; m’apprendrez-vous
Comment votre Attila dispose enfin de nous ?

ARDARIC.

Comment disposez-vous vous-même de mon âme ?
Attila va choisir ; il faut parler, Madame :
Si son choix est pour vous, que ferez-vous pour moi ?595

ILDIONE.

Tout ce que peut un cœur qu’engage ailleurs ma foi.
C’est devers vous qu’il penche ; et si je ne vous aime,
Je vous plaindrai du moins à l’égal de moi-même :
J’aurai mêmes ennuis, j’aurai mêmes douleurs ;
Mais je n’oublierai point que je me dois ailleurs.600

ARDARIC.

Cette foi que peut-être on est près de vous rendre.
Si vous aviez du cœur, vous sauriez la reprendre.

ILDIONE.

J’en ai, s’il faut me vaincre, autant qu’on peut avoir,
Et n’en aurai jamais pour vaincre mon devoir.

ARDARIC.

Mais qui s’engage à deux dégage l’une et l’autre[1].605

ILDIONE.

Ce seroit ma pensée aussi bien que la vôtre ;
Et si je n’étois pas, Seigneur, ce que je suis,
J’en prendrois quelque droit de finir mes ennuis ;
Mais l’esclavage fier d’une haute naissance,
Où toute autre peut tout, me tient dans l’impuissance ;610

  1. Voyez, plus haut, p. 127, la note du vers 461. Ici ce n’est pas seulement Voltaire (1764), mais encore l’édition de 1682 qui donnent : « l’un et l’autre. »