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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/148

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ATTILA.
ARDARIC.

Et mon cœur…Que fait-il, ce cœur, que m’abuser,
Si, même en n’osant rien, il craint de trop oser ?
Non, si vous en aviez, vous sauriez la reprendre,665
Cette foi que peut-être on est prêt[1] de vous rendre.
Je ne m’en dédis point, et ma juste douleur
Ne peut vous dire assez que vous manquez de cœur.

ILDIONE.

Il faut donc qu’avec vous tout à fait je m’explique.
Écoutez ; et surtout, Seigneur, plus de réplique.670
Je vous aime : ce mot me coûte à prononcer ;
Mais puisqu’il vous plaît tant, je veux bien m’y forcer.
Permettez toutefois que je vous die[2] encore
Que si votre Attila de ce grand choix m’honore,
Je recevrai sa main d’un œil aussi content675
Que si je me donnois ce que mon cœur prétend :
Non que de son amour je ne prenne un tel gage
Pour le dernier supplice et le dernier outrage,
Et que le dur effort d’un si cruel moment
Ne redouble ma haine et mon ressentiment ;680
Mais enfin mon devoir veut une déférence
Où même il ne soupçonne aucune répugnance.
Je l’épouserai donc, et réserve pour moi
La gloire de répondre à ce que je me doi.
J’ai ma part, comme un autre, à la haine publique685
Qu’aime à semer partout son orgueil tyrannique ;
Et le hais d’autant plus, que son ambition
A voulu s’asservir toute ma nation ;
Qu’en dépit des traités et de tout leur mystère
Un tyran qui déjà s’est immolé son frère,690

  1. Telle est l’orthographe de ce mot dans toutes les anciennes éditions, et même dans celle de Voltaire (1764).
  2. Suivant son habitude, Thomas Corneille a corrigé die en dise. Voltaire a fait de même.