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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/149

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ACTE II, SCÈNE VI.

Si jamais sa fureur ne redoutoit plus rien,
Auroit peut-être peine à faire grâce au mien.
Si donc ce triste choix m’arrache à ce que j’aime,
S’il me livre à l’horreur qu’il me fait de lui-même,
S’il m’attache à la main qui veut tout saccager,695
Voyez que d’intérêts, que de maux à venger !
Mon amour, et ma haine, et la cause commune
Crieront à la vengeance, en voudront trois pour une ;
Et comme j’aurai lors sa vie entre mes mains,
Il a lieu de me craindre autant que je vous plains.700
Assez d’autres tyrans ont péri par leurs femmes :
Cette gloire aisément touche les grandes âmes,
Et de ce même coup qui brisera mes fers,
Il est beau que ma main venge tout l’univers[1].
Voilà quelle je suis, voilà ce que je pense,705
Voilà ce que l’amour prépare à qui l’offense.
Vous, faites-moi justice ; et songez mieux, Seigneur,
S’il faut me dire encor que je manque de cœur.

(Elle s’en va[2].)
ARDARIC.

Vous préserve le ciel de l’épreuve cruelle
Où veut un cœur si grand mettre une âme si belle !710
Et puisse Attila prendre un esprit assez doux
Pour vouloir qu’on vous doive autant à lui qu’à vous !

FIN DU SECOND ACTE.
  1. Voyez ci-dessus, p. 104.
  2. Voltaire a supprimé ces mots, et il a ensuite ajouté seul au nom d’ardaric.