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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/154

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ATTILA.

Votre garde est doublée, et par un ordre exprès
Je vois ici deux rois observés de fort près.

ATTILA.

Prenez-vous intérêt ou pour l’un ou pour l’autre ?805

ILDIONE.

Mon intérêt, Seigneur, c’est d’avoir part au vôtre :
J’ai droit en vos périls de m’en mettre en souci,
Et de plus, je me trompe, ou l’on m’observe aussi.
Vous serois-je suspecte ? Et de quoi ?

ATTILA.

D’être aimée.
Madame, vos attraits, dont j’ai l’âme charmée,810
Si j’en crois l’apparence, ont blessé plus d’un roi ;
D’autres ont un cœur tendre et des yeux, comme moi ;
Et pour vous et pour moi j’en préviens l’insolence,
Qui pourroit sur vous-même user de violence.

ILDIONE.

Il en est des moyens plus doux et plus aisés,815
Si je vous charme autant que vous m’en accusez.

ATTILA.

Ah ! vous me charmez trop, moi de qui l’âme altière
Cherche à voir sous mes pas trembler la terre entière[1] :
Moi qui veux pouvoir tout, sitôt que je vous voi,
Malgré tout cet orgueil, je ne puis rien sur moi.820
Je veux, je tâche en vain d’éviter par la fuite
Ce charme dominant qui marche à votre suite :
Mes plus heureux succès ne font qu’enfoncer mieux
L’inévitable trait dont me percent vos yeux.
Un regard imprévu leur fait une victoire ;825
Leur moindre souvenir l’emporte sur ma gloire :

  1. Jornandès (de Getarum rebus gestis, chapitre xxxv) exprime énergiquement la terreur qu’inspirait Attila : Vir in concussionem gentium natus in mundo, terrarum omnium metus, qui, nescio qua sorte, terrebat cuncta formidabili de se opinione vulgata.