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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/167

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ACTE IV, SCÈNE II.

Celui que nous sentons devient le plus sensible.
D’un choix si glorieux la honte est trop visible ;1130
Ildione a su l’art de m’en faire un malheur :
La gloire en est pour elle, et pour moi la douleur ;
Elle garde pour soi tout l’effet du mérite,
Et me livre avec joie aux ennuis qu’elle évite.
Vois avec quel insulte[1] et de quelle hauteur1135
Son refus en mes mains rejette un si grand cœur,
Cependant que ravie elle assure à son âme
La douceur d’être toute à l’objet de sa flamme ;
Car je ne doute point qu’elle n’ait de l’amour.
Ardaric qui s’attache à la voir chaque jour,1140
Les respects qu’il lui rend, et les soins qu’il se donne…

FLAVIE.

J’ose vous dire plus, Attila l’en soupçonne :
Il est fier et colère ; et s’il sait une fois
Qu’Ildione en secret l’honore de son choix,
Qu’Ardaric ait sur elle osé jeter la vue,1145
Et briguer cette foi qu’à lui seul il croit due,
Je crains qu’un tel espoir, au lieu de s’affermir…

HONORIE.

Que n’ai-je donc mieux tu que j’aimois Valamir !
Mais quand on est bravée et qu’on perd ce qu’on aime,
Flavie, est-on sitôt maîtresse de soi-même ?1150
D’Attila, s’il se peut, tournons l’emportement
Ou contre ma rivale, ou contre son amant ;
Accablons leur amour sous ce que j’appréhende ;
Promettons à ce prix la main qu’on nous demande ;
Et faisons que l’ardeur de recevoir ma foi1155
L’empêche d’être ici plus heureuse que moi.
Renversons leur triomphe. Étrange frénésie !

  1. L’édition de 1692 porte quelle insulte, au féminin. Plus haut, au vers 424, p. 123, elle avait laissé ce mot au masculin. Voltaire a mis le féminin aux deux endroits.