Comme s’il importoit à ses heureux appas
À qui je donne un cœur dont elle ne veut pas !
Seigneur, telle est l’humeur de la plupart des femmes.
L’amour sous leur empire eût-il rangé mille âmes,
Elles regardent tout comme leur propre bien,
Et ne peuvent souffrir qu’il leur échappe rien.
Un captif mal gardé leur semble une infamie :
Qui l’ose recevoir devient leur ennemie ;
Et sans leur faire un vol on ne peut disposer
D’un cœur qu’un autre choix les force à refuser :
Elles veulent qu’ailleurs par leur ordre il soupire,
Et qu’un don de leur part marque un reste d’empire.
Domitie a pour vous ces communs sentiments
Que les fières beautés ont pour tous leurs amants,
Et craint, si votre main se donne à Bérénice,
Qu’elle ne porte en vain le nom d’impératrice,
Quand d’un côté l’hymen, et de l’autre l’amour,
Feront à cette reine un empire en sa cour.
Voilà sa jalousie, et ce qu’elle redoute,
Seigneur. Pour le sénat, n’en soyez point en doute,
Il aime l’Empereur, et l’honore à tel point,
Qu’il servira sa flamme, ou n’en parlera point ;
Pour le stupide Claude il eut bien la bassesse
D’autoriser l’hymen de l’oncle avec la nièce[1] :
Il ne fera pas moins pour un prince adoré,
Et je l’y tiens déjà, Seigneur, tout préparé.
Tu parles du sénat, et je veux parler d’elle,
De l’ingrate qu’un trône a rendue infidèle.
- ↑ Après la mort de Messaline, Claude épousa, avec l’assentiment du sénat, sa nièce Agrippine, dont le fils Néron avait déjà onze ans. Voyez Tacite, Annales, livre XII, chapitres V-VII.