Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/281

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De ne vous avoir vu que pour me voir bannie ?
Laissez-moi la douceur de languir en ces lieux[1],
D’y soupirer pour vous, d’y mourir à vos yeux :
C’en sera bientôt fait, ma douleur est trop vive
1620Pour y tenir longtemps votre attente captive ;
Et si je tarde trop à mourir de douleur,
J’irai loin de vos yeux terminer mon malheur.
Mais laissez-m’en choisir la funeste journée ;
Et du moins jusque-là, Seigneur, point d’hyménée.
Pour votre ambitieuse avez-vous tant d’amour
1625Que vous ne le puissiez différer d’un seul jour ?
Pouvez-vous refuser à ma douleur profonde…

TITE.

Hélas ! que voulez-vous que la mienne réponde ?
Et que puis-je résoudre alors que vous parlez,
1630Moi qui ne puis vouloir que ce que vous voulez ?
Vous parlez de languir, de mourir à ma vue ;
Mais, ô Dieux ! songez-vous que chaque mot me tue,
Et porte dans mon cœur de si sensibles coups,
Qu’il ne m’en faut plus qu’un pour mourir avant vous ?
1635De ceux qui m’ont percé souffrez que je soupire.
Pourquoi partir, Madame, et pourquoi me le dire ?
Ah ! si vous vous forcez d’abandonner ces lieux,
Ne m’assassinez point de vos cruels adieux.
Je vous suivrois, Madame ; et flatté de l’idée
1640D’oser mourir à Rome, et revivre en Judée,
Pour aller de mes feux vous demander le fruit,
Je quitterois l’empire et tout ce qui leur nuit.

  1. Bérénice exprime le même désir à Titus dans la tragédie de Racine (acte IV, scène v) :
    Ah ! Seigneur… pourquoi nous séparer ?
    Je ne vous parle point d’un heureux hyménée.
    Rome à ne vous plus voir m’a-t-elle condamnée ?
    Pourquoi m’enviez-vous l’air que vous respirez ?