Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/521

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PALMIS.

1090L’amante a-t-elle droit d’être plus intrépide ?

EURYDICE.

L’amante d’un héros aime à lui ressembler,
Et voit ainsi que lui ses périls sans trembler.

PALMIS.

Vous vous flattez, Madame : elle a de la tendresse
Que leur idée étonne, et leur image blesse ;
1095Et ce que dans sa perte elle prend d’intérêt
Ne sauroit sans désordre en attendre l’arrêt.
Cette mâle vigueur de constance héroïque
N’est point une vertu dont le sexe se pique,
Ou s’il peut jusque-là porter sa fermeté,
1100Ce qu’il appelle amour n’est qu’une dureté.
Si vous aimiez mon frère, on verroit quelque alarme :
Il vous échapperoit un soupir, une larme,
Qui marqueroit du moins un sentiment jaloux
Qu’une sœur se montrât plus sensible que vous.
1105Dieux ! je donne l’exemple, et l’on s’en peut défendre !
Je le donne à des yeux qui ne daignent le prendre !
Auroit-on jamais cru qu’on pût voir quelque jour
Les nœuds du sang plus forts que les nœuds de l’amour ?
Mais j’ai tort, et la perte est pour vous moins amère :
1110On recouvre un amant plus aisément qu’un frère[1] ;
Et si je perds celui que le ciel me donna,
Quand j’en recouvrerois, seroit-ce un Suréna ?

EURYDICE.

Et si j’avois perdu cet amant qu’on menace,
Seroit-ce un Suréna qui rempliroit sa place ?
1115Pensez-vous qu’exposée à de si rudes coups,

  1. Antigone, dans la tragédie de Sophocle qui porte son nom (vers 901 et suivants), exprime avec plus de force la même idée, et dit que la perte d’un frère est plus grande que celle d’un fils et d’un époux, parce qu’elle est plus irréparable. — Voyez aussi la tragédie d’Horace, vers 895-916.