ACTE V
Scène I
Je remets en vos mains et l’une et l’autre lettre
Que l’esclave Damis aux miennes vient de mettre.
Vous y verrez, Seigneur, quels sont les attentats…
Au sénateur Cratès, à l’éphore Arsidas.
Spitridate et Cotys sont de l’intelligence ?
Non ; il s’est caché d’eux en cette conférence ;
Il a plaint leur malheur, et de tout son pouvoir ;
Mais sa prudence enfin tous deux vous les renvoie,
Sans leur donner aucun espoir
D’obtenir que de vous ce qui ferait leur joie.
Par cette déférence il croit les mieux aigrir ;
Et rejetant sur moi ce qu’ils ont à souffrir…
Vous avez mandé Spitridate,
Il entre ici.
Gardons qu’à ses yeux rien n’éclate.
Scène II
Aglatide, Seigneur, a-t-elle encore vos vœux ?
Non, Seigneur ; mais enfin ils ne vont pas loin d’elle,
Et sa sœur a fait naître une flamme nouvelle
En la place des premiers feux.
Elpinice ?
Elle-même.
Ainsi toujours pour gendre
Vous vous donnez à Lysander ?
Seigneur, contre l’amour peut-on bien se défendre ?
À peine attaque-t-il qu’on brûle de se rendre :
Le plus ferme courage est ravi de céder ;
Et j’ai trouvé ma foi plus facile à reprendre
Que mon cœur à redemander.
Si vous considériez…
Seigneur, que considère
Un cœur d’un vrai mérite heureusement charmé ?
L’amour n’est plus amour sitôt qu’il délibère,
Et vous le sauriez trop si vous aviez aimé.
Seigneur, j’aimais à Sparte et j’aime dans Éphèse.
L’un et l’autre objet est charmant ;
Mais bien que l’un m’ait plu, bien que l’autre me plaise,
Ma raison m’en a su défendre également.
La mienne suivrait mieux un plus commun exemple.
Si vous aimez, Seigneur, ne vous refusez rien,
Ou souffrez que je vous contemple
Comme un cœur au-dessus du mien.
Des climats différents la nature est diverse :
La Grèce a des vertus qu’on ne voit point en Perse.
Permettez qu’un Persan n’ose vous imiter,
Que sur votre partage il craigne d’attenter,
Qu’il se contente à moins de gloire,
Et trouve en sa faiblesse un destin assez doux
Pour ne point envier cette haute victoire,
Que vous seul avez droit de remporter sur vous.
Mais de mon ennemi rechercher l’alliance !
De votre ennemi !
Non, Lysander ne l’est pas ;
Mais s’il faut vous le dire, il y court à grands pas.
C’en est assez : je dois me faire violence
Et renonce à plus croire ou mes yeux, ou mon cœur.
Ne m’ordonnez-vous rien sur l’hymen de ma sœur ?
Cotys l’aime.
Il est roi, je ne suis pas son maître ;
Et Mandane ni vous n’êtes pas mes sujets.
L’aime-t-elle ?
Il se peut. Lui ferai-je connaître
Que vous auriez d’autres projets ?
C’est me connaître mal ; je ne contrains personne.
Peut-être qu’elle n’aime encor que sa couronne ;
Et je ne sais pas bien où pencherait son choix,
Si le ciel lui donnait à choisir de deux rois.
Vous l’avez jusqu’ici de tant d’honneurs comblée,
De tant de faveurs accablée,
Qu’à vos ordres ses vœux sans peine assujettis…