L’ingrate !
Je réponds de sa reconnaissance,
Et qu’elle ne consent à l’espoir de Cotys
Que pour le maintenir dans votre dépendance.
Pourrait-elle, Seigneur, davantage pour vous ?
Non ; mais qui la pressait de choisir un époux ?
L’occasion d’un roi, Seigneur, est bien pressante.
Les plus dignes objets ne l’ont pas chaque jour ;
Elle échappe à la moindre attente
Dont on veut éprouver l’amour.
À moins que de la prendre au moment qu’elle arrive,
On s’expose aux périls de l’accepter trop tard,
Et l’asile est si beau pour une fugitive,
Qu’elle ne peut sans crime en rien mettre au hasard.
Elle eût peu hasardé peut-être pour attendre.
Voyait-elle en ces lieux un plus illustre espoir ?
Comme l’amour n’entend que ce qu’il veut entendre,
Il ne voit que ce qu’il veut voir.
Si je l’ai jusqu’ici de tant d’honneurs comblée,
De tant de faveurs accablée,
Ces faveurs, ces honneurs ne lui disaient-ils rien ?
Elle les entendait trop bien en dépit d’elle :
Mais l’ingrate ! Mais la cruelle !…
Seigneur, à votre tour vous m’entendez trop bien.
Qu’elle aille chez Cotys partager sa couronne ;
Je n’y mets point d’obstacle, et n’en veux rien savoir :
Soit que l’ambition, soit que l’amour la donne,
Vous avez tous deux tout pouvoir.
Si pourtant vous m’aimiez…
Soyez sûr de mon zèle.
Ma parole à Cotys est encore à donner.
Mais si cet hyménée a de quoi vous gêner,
Mandane que deviendra-t-elle ?
Allez, encore un coup, allez en d’autres lieux
Épargner par pitié cette gêne à mes yeux ;
Sauvez-moi du chagrin de montrer que je l’aime.
Elle vient recevoir vos ordres elle-même.
Scène III
Ô vue ! ô sur mon cœur regards trop absolus !
Que vous allez troubler mes vœux irrésolus !
Ne partez pas, Madame. Ô ciel ! J’en vais trop dire.
Je conçois mal, Seigneur, de quoi vous me parlez.
Moi partir ?
Oui, partez, encor que j’en soupire.
Que ce mot ne peut-il suffire !
Je conçois encor moins pourquoi vous m’exilez.
J’aime trop à vous voir et je vous ai trop vue :
C’est, Madame, ce qui me tue.
Partez, partez, de grâce.
Où me bannissez-vous ?
Nommez-vous un exil le trône d’un époux ?
Quel trône, et quel époux ?
Cotys…
Je crois qu’il m’aime ;
Mais si je vous regarde ici comme mon roi
Et comme un protecteur que j’ai choisi moi-même,
Puis-je sans votre aveu l’assurer de ma foi ?
Après tant de bontés et de marques d’estime,
À vous moins déférer je croirais faire un crime ;
Et mon âme…
Ah ! C’est trop déférer, et trop peu.
Quoi ? Pour cet hyménée exiger mon aveu !
Jusque-là mon bonheur n’aura qu’incertitude ;
Et bien qu’une couronne éblouisse aisément…
Ma sœur, il faut parler un peu plus clairement :
Le roi s’est plaint à moi de votre ingratitude.
Et je me plains à lui des inégalités
Qu’il me force de voir lui-même en ses bontés.
Tout ce que pour un autre a voulu ma prière,
Vous me l’avez, Seigneur, et sur l’heure accordé ;
Et pour mes intérêts ce qu’on a demandé
Prête à de prompts refus une digne matière !
Si vous vouliez avoir des yeux
Pour voir de ces refus la véritable cause…
N’est-ce pas assez dire, et faut-il autre chose ?
Voyez mieux sa pensée, ou répondez-y mieux.
Ces refus obligeants veulent qu’on les entende :
Ils sont de ses faveurs le comble, et la plus grande.