Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 2.djvu/194

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Tout roi qu’est votre amant, perdez-le sans ennui,
Lorsqu’on vous en destine un plus puissant que lui.
M’en désavouerez-vous, Seigneur ?

agésilas

Non, Spitridate.
C’est inutilement que ma raison me flatte :
Comme vous j’ai mon faible ; et j’avoue à mon tour
Qu’un si triste secours défend mal de l’amour.
Je vois par mon épreuve avec quelle injustice
Je vous refusais Elpinice :
Je cesse de vous faire une si dure loi.
Allez ; elle est à vous, si Mandane est à moi.
Ce que pour Lysander je semble avoir de haine
Fera place aux douceurs de cette double chaîne,
Dont vous serez le nœud commun ;
Et cet heureux hymen, accompagné du vôtre,
Nous rendant entre nous garant de l’un vers l’autre,
Réduira nos trois cœurs en un.
Madame, parlez donc.

spitridate

Seigneur, l’obéissance
S’exprime assez par le silence.
Trouvez bon que je puisse apprendre à Lysander
La grâce qu’à ma flamme il vous plaît d’accorder.


Scène IV

Agésilas, Mandane, Xénoclès
agésilas

En puis-je pour la mienne espérer une égale,
Madame ? Ou ne sera-ce en effet qu’obéir ?

mandane

Seigneur, je croirais vous trahir
Et n’avoir pas pour vous une âme assez royale,
Si je vous cachais rien des justes sentiments
Que m’inspire le ciel pour deux rois mes amants.
J’ai vu que vous m’aimiez ; et sans autre interprète
J’en ai cru vos faveurs qui m’ont si peu coûté ;
J’en ai cru vos bontés, et l’assiduité
Qu’apporte à me chercher votre ardeur inquiète.
Ma gloire y voulait consentir ;
Mais ma reconnaissance a pris soin de la vôtre.
Vos feux la hasardaient, et pour les amortir
J’ai réduit mes désirs à pencher vers un autre.
Pour m’épouser, vous le pouvez,
Je ne saurais former de vœux plus élevés ;
Mais avant que juger ma conquête assez haute,
De l’œil dont il faut voir ce que vous vous devez,
Voyez ce qu’elle donne, ou plutôt ce qu’elle ôte.
Votre Sparte si haut porte sa royauté,
Que tout sang étranger la souille et la profane :
Jalouse de ce trône où vous êtes monté,
Y faire seoir une Persane,
C’est pour elle une étrange et dure nouveauté ;
Et tout votre pouvoir ne peut m’y donner place,
Que vous n’y renonciez pour toute votre race.
Vos éphores peut-être oseront encor plus ;
Et si votre sénat avec eux se soulève,
Si de me voir leur reine indignés et confus,
Ils m’arrachent d’un trône où votre choix m’élève…
Pensez bien à la suite avant que d’achever,
Et si ce sont périls que vous deviez braver.
Vous les voyez si bien que j’ai mauvaise grâce
De vous en faire souvenir ;
Mais mon zèle a voulu cette indiscrète audace,
Et moi je n’ai pas cru devoir la retenir.
Que la suite, après tout, vous flatte ou vous traverse,
Ma gloire est sans pareille aux yeux de l’univers,
S’il voit qu’une Persane au vainqueur de la Perse
Donne à son tour des lois, et l’arrête en ses fers.
Comme votre intérêt m’est plus considérable,
Je tâche de vous rendre à des destins meilleurs.
Mon amour peut vous perdre, et je m’attache ailleurs,
Pour être pour vous moins aimable.
Voilà ce que devait un cœur reconnaissant.
Quant au reste, parlez en maître,
Vous êtes ici tout-puissant.

agésilas

Quand peut-on être ingrat, si c’est là reconnaître ?
Et que puis-je sur vous si le cœur n’y consent ?

mandane

Seigneur, il est donné ; la main n’est pas donnée ;
Et l’inclination ne fait pas l’hyménée.
Au défaut de ce cœur, je vous offre une foi
Sincère, inviolable, et digne enfin de moi.
Voyez si ce partage aura pour vous des charmes.
Contre l’amour d’un roi c’est assez raisonner.
J’aime, et vais toutefois attendre sans alarmes
Ce qu’il lui plaira m’ordonner.
Je fais un sacrifice assez noble, assez ample,
S’il en veut un en ce grand jour ;
Et s’il peut se résoudre à vaincre son amour,
J’en donne à son grand cœur un assez haut exemple.
Qu’il écoute sa gloire ou suive son désir,
Qu’il se fasse grâce ou justice,
Je me tiens prête à tout, et lui laisse à choisir
De l’exemple ou du sacrifice.


Scène V

Agésilas, Xénoclès
agésilas

Qu’une Persane m’ose offrir un si grand choix !
Parmi nous qui traitons la Perse de barbare,
Et méprisons jusqu’à ses rois,