Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 2.djvu/216

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D’assassiner vous-même ou d’être assassiné !
Il vous offre ma main comme un bonheur insigne,
Mais à condition de vous en rendre indigne ;
Et si vous refusez par là de m’acquérir,
Vous ne sauriez vous-même éviter de périr !

Ardaric

Il est beau de périr pour éviter un crime :
Quand on meurt pour sa gloire, on revit dans l’estime ;
Et triompher ainsi du plus rigoureux sort,
C’est s’immortaliser par une illustre mort.

Ildione

Cette immortalité qui triomphe en idée
Veut être, pour charmer, de plus loin regardée ;
Et quand à notre amour ce triomphe est fatal,
La gloire qui le suit nous en console mal.

Ardaric

Vous vengerez ma mort ; et mon âme ravie…

Ildione

Ah ! Venger une mort n’est pas rendre une vie :
Le tyran immolé me laisse mes malheurs ;
Et son sang répandu ne tarit pas mes pleurs.

Ardaric

Pour sauver une vie, après tout périssable,
En rendrais-je le reste infâme et détestable ?
Et ne vaut-il pas mieux assouvir sa fureur,
Et mériter vos pleurs, que de vous faire horreur ?

Ildione

Vous m’en feriez sans doute, après cette infamie,
Assez pour vous traiter en mortelle ennemie ;
Mais souvent la fortune a d’heureux changements
Qui président sans nous aux grands événements.
Le ciel n’est pas toujours aux méchants si propice :
Après tant d’indulgence, il a de la justice.
Parlez à Valamir, et voyez avec lui
S’il n’est aucun remède à ce mortel ennui.

Ardaric

Madame…

Ildione

Allez, seigneur : nos maux et le temps pressent,
Et les mêmes périls tous deux vous intéressent.

Ardaric

J’y vais ; mais en l’état qu’est son sort et le mien,
Nous nous plaindrons ensemble et ne résoudrons rien.


Scène VII

.

Ildione

Trêve, mes tristes yeux, trêve aujourd’hui de larmes !
Armez contre un tyran vos plus dangereux charmes :
Voyez si de nouveau vous le pourrez dompter,
Et renverser sur lui ce qu’il ose attenter.
Reprenez en son coeur votre place usurpée,
Ramenez à l’autel ma victime échappée,
Rappelez ce courroux que son choix incertain
En faveur de ma flamme allumait dans mon sein.
Que tout semble facile en cette incertitude !
Mais qu’à l’exécuter tout est pénible et rude !
Et qu’aisément le sexe oppose à sa fierté
Sa douceur naturelle et sa timidité !
Quoi ? Ne donner ma foi que pour être perfide !
N’accepter un époux que pour un parricide !
Ciel, qui me vois frémir à ce nom seul d’époux,
Ou rends-moi plus barbare, ou mon tyran plus doux !


ACTE V


Scène I


Ardaric

Seigneur, vos devins seuls ont causé notre perte :
Par eux à tous nos maux la porte s’est ouverte ;
Et l’infidèle appas de leur prédiction
A jeté trop d’amorce à notre ambition.
C’est de là qu’est venu cet amour politique
Que prend pour attentat un orgueil tyrannique.
Sans le flatteur espoir d’un avenir si doux,
Honorie aurait eu moins de charmes pour vous.
C’est par là que vos yeux la trouvent adorable,
Et que vous faites naître un amour véritable,
Qui l’attachant à vous excite des fureurs
Que vous voyez passer aux dernières horreurs.
À moins que je vous perde, il faut que je périsse ;
On vous fait même grâce, ou pareille injustice :
Ainsi vos seuls devins nous forcent de périr,
Et ce sont tous les droits qu’ils vous font acquérir.

Valamir

Je viens de les quitter ; et loin de s’en dédire,
Ils assurent ma race encor du même empire.
Ils savent qu’Attila s’aigrit au dernier point,
Et ses emportements ne les émeuvent point ;
Quelque loi qu’il nous fasse, ils sont inébranlables :
Le ciel en a donné des arrêts immuables ;
Rien n’en rompra l’effet ; et Rome aura pour roi
Ce grand Théodoric qui doit sortir de moi.

Ardaric

Ils veulent donc, seigneur, qu’aux dépens de ma tête
Vos mains à ce héros préparent sa conquête ?

Valamir

Seigneur, c’est m’offenser encor plus qu’Attila

Ardaric

Par