Dans l’ombre de la nuit le feu se fait mieux voir ;
Le temps était bien pris. Cette dame, elle est belle ?
Aux yeux de bien du monde elle passe pour telle.
Et la musique ?
Quelque collation a pu l’accompagner ?
On le dit.
Et vous ne savez point celui qui l’a donnée ?
Vous en riez !
D’un divertissement que je me suis donné.
Vous ?
Si je n’en avait fais, j’aurais bien peu d’adresse,
Moi qui depuis un mois suis ici de retour.
Il est vrai que je sors fort peu souvent de jour ;
De nuit, incognito, je rends quelques visites.
Ainsi…
Tais-toi : si jamais plus tu me viens avertir…
J’enrage de me taire et d’entendre mentir !
Voyez qu’heureusement dedans cette rencontre
Votre rival lui-même à vous-même se montre.
Comme à mes chers amis je vous veux tout conter.
J’avais pris cinq bateaux pour mieux tout ajuster :
Les quatre contenaient quatre chœurs de musique
Capables de charmer le plus mélancolique.
Au premier, violons ; en l’autre, luths et voix ;
Des flûtes, au troisième ; au dernier, des hautbois,
Qui tour à tour dans l’air poussaient des harmonies
Dont on pouvait nommer les douceurs infinies.
Le cinquième était grand, tapissé tout exprès
De rameaux enlacés pour conserver le frais,
Dont chaque extrémité portait un doux mélange
De bouquets de jasmin, de grenade et d’orange.
Je fis de ce bateau la salle du festin :
Là je menai l’objet qui fait seul mon destin ;
De cinq autres beautés la sienne fut suivie,
Et la collation fut aussitôt servie.
Je ne vous dirai point les différents apprêts,
Le nom de chaque plat, le rang de chaque mets ;
Vous saurez seulement qu’en ce lieu de délices
On servit douze plats, et qu’on fit six services,
Cependant que les eaux, les rochers et les airs,
Répondaient aux accents de nos quatre concerts.
Après qu’on eut mangé, mille et mille fusées,
S’élançant vers les cieux, ou droites ou croisées,
Firent un nouveau jour, d’où tant de serpenteaux
D’un déluge de flamme attaquèrent les eaux,
Qu’on crut que, pour leur faire une plus rude guerre,
Tout l’élément du feu tombait du ciel en terre.
Après ce passe-temps, on dansa jusqu’au jour,
Dont le soleil jaloux avança le retour.
S’il eût pris notre avis, sa lumière importune
N’eût pas troublé sitôt ma petite fortune ;
Mais, n’étant pas d’humeur à suivre nos désirs,
Il sépara la troupe, et finit nos plaisirs.
Certes, vous avez grâce à conter ces merveilles.
Paris, tout grand qu’il est, en voit peu de pareilles.
J’avais été surpris, et l’objet de mes vœux
Ne m’avait, tout au plus, donné qu’une heure ou deux.
Cependant l’ordre est rare, et la dépense belle.
Il s’est fallu passer à cette bagatelle :
Alors que le temps presse, on n’a pas à choisir.
Adieu : nous nous verrons avec plus de loisir.
Faites état de moi.
Sans raison toutefois votre âme en est saisie ;
Les signes du festin ne s’accordent pas bien.
Le lieu s’accorde, et l’heure ; et le reste n’est rien.
Scène VI
Monsieur, puis-je à présent parler sans vous déplaire ?
Je remets à ton choix de parler ou te taire ;
Mais quand tu vois quelqu’un, ne fais plus l’insolent.
Votre ordinaire est-il de rêver en parlant ?
Où me vois-tu rêver ?
Ce qu’en d’autres qu’un maître on nomme menteries.
Je parle avec respect.
Quand je vous ois parler de guerre et de concerts.
Vous voyez sans péril nos batailles dernières,
Et faites des festins qui ne vous coûtent guères.
Pourquoi depuis un an vous feindre de retour ?
J’en montre plus de flamme, et j’en fais mieux ma cour.
Qu’a de propre la guerre à montrer votre flamme ?
O Le beau compliment à charmer une dame
De lui dire d’abord : " J’apporte à vos beautés
Un cœur nouveau venu des universités :
Si vous avez besoin de lois et de rubriques,
Je sais le Code entier avec les Authentiques,
Le Digeste nouveau, le vieux, l’Infortiat,
Ce qu’en a dit Jason, Balde, Accurse, Alciat ! "
Qu’un si riche discours nous rend considérables !
Qu’on amollit par là de cœurs inexorables !
Qu’un homme à paragraphe est un joli galant !
On s’introduit bien mieux à titre de vaillant :
Tout le secret ne gît qu’en un peu de grimace ;
À mentir à propos, jurer de bonne grâce,
Étaler force mots qu’elles n’entendent pas,
Faire sonner Lamboy, Jean de Vert, et Galas ;
Nommer quelques châteaux de qui les noms barbares,
Plus ils blessent l’oreille, et plus leur semblent rares ;
Avoir toujours en bouche angles, lignes, fossés,
Vedette, contrescarpe, et travaux avancés :
Sans ordre et sans raison, n’importe, on les étonne ;
On leur fait admirer les bayes qu’on leur donne :
Et tel, à la faveur d’un semblable débit,
Passe pour homme illustre et se met en crédit.
À qui vous veut ouïr, vous en faites bien croire :
Mais celle-ci bientôt peut savoir votre histoire.
J’aurai déjà gagné chez elle quelques accès ;
Et, loin d’en redouter un malheureux succès,
Si jamais un fâcheux nous nuit par sa présence,
Nous pourrons sous ces mots être d’intelligence.
Voilà traiter l’amour, Cliton, et comme il faut.
À vous dire le vrai, je tombe de bien haut.
Mais parlons du festin. Urgande et Mélusine
N’ont jamais sur-le-champ mieux fourni leur cuisine ;
Vous allez au delà de leurs enchantements ;
Vous seriez un grand maître à faire des romans :
Ayant si bien en main le festin et la guerre,
Vos gens en moins de rien courraient toute la terre ;
Et ce serait pour vous des travaux fort légers
Que d’y mêler partout la pompe et les dangers ;
Ces hautes fictions vous sont bien naturelles.
J’aime à braver ainsi les conteurs de nouvelles ;
Et sitôt que j’en vois quelqu’un s’imaginer
Que ce qu’il veut m’apprendre a de quoi m’étonner,
Je le sers aussitôt d’un conte imaginaire
Qui l’étonne lui-même, et le force à se taire.
Si tu pouvais savoir quel plaisir on a lors
De leur faire rentrer leurs nouvelles au corps…
Je le juge assez grand. Mais enfin ces pratiques
Vous couvriront de honte en devenant publiques.
Nous nous en tirerons. Mais tous ces vains discours
M’empêchent de chercher l’objet de mes amours ;
Tâchons de le rejoindre, et sache qu’à me suivre,
Je t’apprendrai bientôt d’autres façons de vivre.
ACTE II
Scène première
Je sais qu’il vaut beaucoup étant sorti de vous.
Mais, Monsieur, sans le voir, accepter un époux,
Par quelque haut récit qu’on en soit conviée,
C’est grande avidité de se voir mariée.
D’ailleurs, en recevoir visite et compliment,
Et lui permettre accès en qualité d’amant,
À moins qu’à vos projets un plein effet réponde,
Ce serait trop donner à discourir au monde.
Trouvez donc un moyen de me le faire voir,
Sans m’exposer au blâme, et manquer au devoir.
Oui, vous avez raison, belle et sage Clarice ;