Page:Corneille - Pulcherie, Luynes, 1673.djvu/20

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M'aimeriez-vous assez pour n'être point contraire
À l'unique moyen de rendre heureux ce frère,
Vous qui, dans votre amour, avez pu sans ennui
Vous défendre de l'être un moment avant lui,
Et qui mériteriez qu'on vous fît mieux connaître
Que s'il ne le devient, vous aurez peine à l'être ?

'ASPAR' — C'est aller un peu vite, et bientôt m'insulter
En sœur de souverain qui cherche à me quitter.
Je vous aime, et jamais une ardeur plus sincère...

'IRÈNE' — Seigneur, est-ce m'aimer que de perdre mon frère ?

'ASPAR' — Voulez-vous que pour lui je me perde d'honneur ?
Est-ce m'aimer que mettre à ce prix mon bonheur ?
Moi, qu'on a vu forcer trois camps et vingt murailles,
Moi qui, depuis dix ans, ai gagné sept batailles,
N'ai-je acquis tant de nom que pour prendre la loi
De qui n'a commandé que sous Procope, ou moi,
Que pour m'en faire un maître, et m'attacher moi-même
Un joug honteux au front, au lieu d'un diadème ?

'IRÈNE' — Je suis plus raisonnable, et ne demande pas
Qu'en faveur d'un ami vous descendiez si bas.
Pylade pour Oreste aurait fait davantage ;
Mais de pareils efforts ne sont plus en usage,
Un grand cœur les dédaigne, et le siècle a changé :
À s'aimer de plus près on se croit obligé,
Et des vertus du temps l'âme persuadée
Hait de ces vieux héros la surprenante idée.

'ASPAR' — Il y va de ma gloire, et les siècles passés...

'IRÈNE' — Elle n'est pas, seigneur, peut-être où vous pensez ;