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SUR LES COMEDIES xc/

C'est le seul cai^actère soutenu de ce genre que Corneille nous peigne, et eomme ce don Juan, plus faible que coupable, a son Elvire en la personne de la tendre et fière Angélique, comme Angélique elle-même, nous l'avons déjà remarqué, est une excep- tion parmi les héroïnes comiques de Corneille, on peut en conclure que la Place Royale est le moins banal de ces premiers essais.

Ceux qui aiment trop ne reculent pas devant la trahison pour servir leur amour et pour écarter leurs rivaux. Les traître? jouent un rôle important dans la comédie cornélienne; ôtez les traîtres de Mélite et de la Veuve, par exemple, les deux pièces n'existent plus. Seulement, il y a divers degrés dans la trahison, d'où il suit que les traîtres peuvent et doivent même être inégalement punis. Ainsi Alcidon est un traître doublé d'un hypocrite; infidèle à la fois à Famitié et à l'amour, il trompe indignement, et Philiste son meilleur ami, et la sœur de Philiste, Doris, qu'il abandonne pour Ciarice; c'est par un brutal enlèvement qu'il essaye de con- quérir celle-ci. Nous applaudissons donc de grand cœur à la déconvenue du trompeur trompé. Au contraire, Éraste n'aime que Mélite, et c'est sa passion exclusive qui le conduit au crime, dont on le juge assez puni par un long accès de folie furieuse. Rien| n'empêchera donc Éraste d'épouser Cloris, puisqu'elle est assez courageuse pour l'accepter. Faut-il prendre cette folie au sérieux, et voir en Éraste un amant passionné au point d'en perdre la raison? Ce serait chose nouvelle dans le théâtre comique de Corneille. Non, Éraste n'est pas un personnage shakspearien; sa folie n'est qu'un moyen de tragi-comédie, un prétexte à monologues, un artifice ingénieux pour dénouer l'inlrigue, car c'est Éraste lui-même qui, dans son égarement, se révèle l'auteur des fausses lettres qui ont causé tout le malentendu. Observez, d'ailleurs, que la folie d'Éraste vient du succès tragique et trop complet de sa perfidie, du chagrin et de la honte que lui inspire la vue de son œuvre. Il n'est donc traître que par occasion, par entraînement passager, il ne l'est point par nature; le fond de son âme n'est pas corrompu. Alcidon, qui agit de sang-froid, est moins excusable, et pourtant Alcidon, lui aussi, n'a pas le cou rage de persévérer dans sa trahison; lui aussi, il rejette ce poids trop lourd, et s'accuse devant tous, comme l'avait déjà fait l'hon- nête Célidan, son complice involontaire. Leur trahison, dont on n'a plus besoin dès qu'elle a produit ses eflets, n'a donc été qu'un moyen dramatique : ce sont des traîtres pour rire.

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