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Page:Corneille Théâtre Hémon tome1.djvu/110

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xcvi ÉTUDE

La seconde pièce de Corneille, Clitandre, est une tragi-comédie romanesque, comme la seconde pièce de Rotrou, Cléagénor et Doristée. Il est vrai que Corneille, on l'a vu*, pour imposer silence aux censeurs pédantesques de Mé.lite, se vantait, aprè:^ coup, d'avoir voulu faire une pièce qui fût dans les règles et ne valût ripu. La vérité, c'est qu'il ne se sentait point assez robuste encore pour être lui-même, qu'il hésitait entre tous les genres, et, comme il arrive d'ordinaire en pareil cas, allait droit au genre le plus faux, parce qu'il était le plus à la modp. Seulement, il échoua cette fois, et devait échouer : ces inventions tragi-comiques, en effet, si bizarres qu'elles soient, exigent une dextérité parti- culière, assez vulgaire sans doute, mais que peut donner seule l'habitude du théâtre. De plus, le mérite nouveau qu'on avait loué en Mélite devait être absent de Clitandre : comment trouver une place pour la conversation oisive des honnêtes gens, en cet enchevêtrement d'aventures qui ne laissent pas aux personnages le loisir de respirer? Comment prêter le langage de la bonne comédie à des fous mélancoliques ou furieux, qui se meuvent si mauife«tement en dehors de toute réalité? De tous ces éléments contradictoires Corneille composa la mixture la plus extraordi- naire qu'on puisse voir.

On n'analyse pas plus le Clitandre de Corneille que le Cléagénor de Rotrou ; c'est le privilège malheureux, heureux plutôt, de ces sortes de fantaisies, qu'elles échappent à tout résumé, comme à toute définition. Je vois chez Rotrou, comme chez Corneille, des embuscades de brigands, de noirs complots déjoués par la sou- daine intervention d'un libérateur chevaleresque, des enlèvements, des travestissements, des trahisons; seulement, le traître s'appelle Ozanor au lieu de s'appeler Pymante, et le travestissement de Doristée servira plus tard à la Dorise de Corneille. Même choc amusant d'incidents miraculeux; mêmes brillants coups d'épée, dignes des héros de nos chansons de geste, ou des chevaliers errants de nos romans épiques ; mêmes jeux de scène, tellement multipliés qu'ils composent souvent à eux seuls toute l'action et rendent le dialogue à peu près inutile; même facilité incroyable de locomotion, dévolue à des personnages qui ont le don d'ubi- quité; mômes brusques changements de scène, ou plutôt de décor, car. au fond>la scène est un lieu neutre et tout idéal, dont

1. Voyez la Biogi-apliie, p. n

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